«Leviathan» de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor: bâbord, tribord, bordel – Bible urbaine

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«Leviathan» de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor: bâbord, tribord, bordel

«Leviathan» de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor: bâbord, tribord, bordel

Publié le 5 avril 2013 par Jim Chartrand

Expérience ultime des sens qui s’immisce en nous corps et âme, Leviathan est un documentaire qui fait classe à part dans son désir prenant de nous immerger dans son malaise.

Pas une parole n’est prononcée dans le documentaire. Pourtant, l’expression «Une image vaut mille mots» n’aura jamais semblé aussi adéquate dans ce regard forcément cruel que portent Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor sur son expérience de pêche en mer, nous livrant à froid avec une poésie étonnante les images de ce véritable massacre.

Avec un sens de la narration qui tend vers l’expérimentation et un petit quelque chose que David Lynch ne renierait certainement pas, on se retrouve dans les méandres du quotidien de cette odyssée de la terreur. Avec de longs plans qui expriment un vide, un néant et les ébauches d’une certaine apocalypse dans ces extraits de tempête et de fin du monde, on laisse place à de fascinants cadrages et des plans de caméra qu’on ne s’explique même pas. Captant l’horreur de près, il y a ici une virtuosité tout simplement abasourdissante dans cette façon de se rapprocher de ses sujets et des actions qui nous intéressent.

Bien sûr, on pourrait sommairement résumer les nombreux actes du film selon la certaine logique de ses scènes, allant de l’extérieur à l’intérieur, en passant par les bourreaux, les victimes, les cadavres, les oiseaux et on en passe, mais c’est tout sauf une liste à cocher qui semble se dérouler sous nos yeux. Avec son temps qui s’écoule lentement durant ces 87 minutes qu’on semble nous faire subir tellement certaines images sont insupportables (essayez de vous remettre du passage des raies…!), voilà peut-être la véritable définition d’un film d’horreur ou, plus précisément, d’un snuff film qui, pour sa part, est honteusement légal et toléré.

Ce n’est pas un secret pour personne, l’industrie de la pêche en mer est sans pitié. Par contre, qu’on en mange souvent ou non, qu’importe à quel point on en a entendu parler, on ne peut certainement pas s’imaginer toute l’intensité de cette barbarie qu’on applique à la large gamme de créatures marines qu’on capture, massacre et mutile pour ne garder que ce qui nous intéresse.

Leviathan nous laisse donc pétrifiés. Complétement enfoncés dans notre siège, ébahis de terreur devant un tel spectacle, devant ce cri du cœur nécessaire, rappelant ainsi le Bestiaire de Denis Côté, évoquant une castration similaire, l’aspect boucherie en extra. Que ce soit les plans de ces pêcheurs barbus et tatoués qui parlent avec de grosses voix, que de ces gros plans sur les têtes décapités de ces poissons mi-morts, mi-vivants, qui s’agitent avant de retourner crever dans l’immensité de l’océan, le documentaire multiplie nos traumatismes pour être certain de ne pas nous laisser la chance de s’en sortir indemnes.

Voilà donc une expérience unique qu’il faut absolument vivre. Oui, il faut du courage et un cœur solide, mais le lourd duel entre le mal de mer et les signes d’agitation qui ne nous laissent pas de répit puis le dégoût que nous procure le sort réservé à ces pauvres créatures ont tôt fait de nous massacrer à grand coups de machette, laissant notre pauvre cœur en miettes.

On ne verra certainement plus l’océan de la même façon ni toute la force attractive qu’il peut avoir sur nous, autant au niveau du corps que de l’esprit.

Leviathan prend l’affiche ce vendredi 5 avril au Cinéma Excentris de Montréal. À noter que le co-réalisateur Lucien Castaing-Taylor sera présent lors des séances du 5 avril.

Appréciation: ****

Crédit photo: EyeSteelFilm

Écrit par: Jim Chartrand

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