Entrevue avec l'écrivain Philippe Collard: force lunaire – Bible urbaine

Littérature

Entrevue avec l’écrivain Philippe Collard: force lunaire

Entrevue avec l’écrivain Philippe Collard: force lunaire

Publié le 17 septembre 2012 par Catherine Groleau

Cette année, Philippe Collard nous présente son premier roman à ce jour, Bleu comme la lune, publié chez Leméac. Après un coup de fil mystérieux qui a failli lui coûter son cellulaire, nous avons finalement réussi à établir le contact et à échanger quelques propos.

J’ai vu sur la quatrième couverture de ton roman que tu es né en 1969. Ce n’est donc qu’en 2012 que tu t’es lancé dans l’écriture de ton premier roman. Est-ce que tu peux me parler de ton parcours et de ce qui t’a amené vers l’écriture?

Je suis un grand fan de Virginia Woolf. Dans À John Lehmann. Lettre à un jeune poète elle met en garde de ne rien publier avant l’âge de 30 ans. Alors moi, dans cette optique, ça finalement été à 40 ans avant que je ne me décide à publier un roman. Pour ce qui est de mon parcours, j’ai étudié en littérature et ensuite j’ai travaillé dans les médias, à la télévision, et plus récemment j’ai commencé à travailler pour The Gazette dans la section des technologies informatiques. Mais l’écriture a toujours fait partie de ma vie, j’ai toujours écrit. J’ai un recueil de nouvelles qui traînent sur mon ordi depuis longtemps et auquel je reviens régulièrement. Mais je n’avais jamais vraiment eu l’intention de publier un jour, de façon sérieuse. Ç’a plus été un hasard. Un jour, en 2005 ou 2006, j’ai rencontré dans la rue Yvon Rivard, un de mes anciens profs, qui m’a demandé, comme ça, si j’écrivais. Et en fait, c’est la première personne à qui j’ai dit que j’étais en train d’écrire quelque chose. Il m’a demandé de lire mes trucs et à partir de là, il m’a conseillé et m’a motivé à travailler mon texte. Il n’a pas été le déclencheur de mon écriture, mais plutôt le déclencheur qui m’a amené vers la publication.

Explores-tu d’autres formes que la fiction? Ton roman a une écriture assez poétique. Est-ce que c’est quelque chose qui t’inspire?

J’écris surtout de la fiction, oui, j’ai un recueil de nouvelles que je traîne depuis longtemps comme je te disais. J’ai aussi déjà participer à un concours de récits radiophoniques que Jean Barbe avait organisé à Radio-Canada.

Pour la poésie, je n’en écris pas vraiment, mais quand j’ai retravaillé mon roman, je me suis vraiment mis à travailler la musicalité du texte. C’est en lisant les poèmes de mon amie Katherine Caron (je pense notamment à son dernier recueil Encore vivante) que j’ai appris à lire la poésie comme on lit un roman. La lecture des œuvres de Sylvia Plath m’a aussi beaucoup aidé là-dedans. Je me suis mis à lire mon texte à voix haute pour mieux entendre les harmonies. Une fois que l’histoire était bien arrêtée, c’est là que je me suis vraiment mis à travailler la musicalité, les mots, le rythme.

On sent que le personnage principal, Nadia Soulard, a deux visages comme si elle avait un trouble bipolaire, mais dit d’une façon très poétique. Peux-tu me parler de l’état d’esprit dans lequel tu as campé ce personnage?

Je pense que c’est un peu le propre de tout personnage de roman que de partir d’une émotion simple et d’essayer de la faire durer pendant 200 pages. D’explorer à fond un état pour qu’il perdure après avoir terminé la lecture. Pour Nadia, elle n’est pas vraiment bipolaire, mais plutôt polarisée. Elle est divisée entre les deux aspects de sa personnalité. Et il y a une couche un peu philosophique rajoutée à ça, c’est-à-dire que quand elle est sur son high, elle croit pouvoir tout accomplir, elle se sent immortelle, elle est pleine de confiance. Quand ça retombe, elle se sent mortelle, elle se remet en question. Un peu comme tout le monde, en fait. On n’a pas besoin d’être maniaco pour ça. C’est comme deux pôles opposés qu’elle tente de réconcilier, qu’elle tente de prendre pour en faire une seule affaire. J’ai aussi écrit un essai (qui est encore sur mon ordi, comme le recueil de nouvelles) qui traite de quelqu’un qui, dans sa tête, pense être à la fois un pilote et un copilote. Le pilote est hyperactif alors que le copilote est hypoactif, et à la fin, le gars se rend compte qu’il est en fait l’avion qui contient les deux pilotes. Donc, le truc des deux visages, c’est surtout pour explorer cet aspect polarisé de l’être humain et que tout le monde a en lui en fin de compte.

Parlant du personnage de Nadia, comment as-tu vécu le fait d’explorer en profondeur l’esprit féminin dans le cadre d’un récit aussi introspectif?

Pour être honnête, ça, ç’a vraiment été tough. Ce qui m’a motivé c’est que j’ai vu d’autres le faire, par exemple des femmes qui ont créé des personnages masculins. Virginia Woolf, dans son roman Orlando, raconte l’histoire d’un homme qui traverse les siècles et se transforme en femme. Ça, ça m’a montré que c’était possible de créer des personnages qui appartiennent à l’autre sexe et que ça fonctionne. Mais vraiment, ç’a été difficile à écrire pour que ça ressemble vraiment à ce qu’un fille pense dans sa tête, sans tomber dans les gros clichés de ce que les gars peuvent s’imaginer de la façon dont pensent les filles.

J’ai demandé à plein de filles de lire mon texte et de me dire ce qu’elles en pensaient. Il y en a qui m’ont carrément dit ça, ça marche pas, c’est impossible qu’une fille ne se dise ça. Mais le choix que la narratrice soit une fille s’est un peu imposé de soi. Au début, Nadia est toute dans sa tête et il faut que son corps la ramène dans le monde. Si ça avait été un gars, il aurait fallu qu’il ait un accident, qu’il se blesse, par exemple, et là je trouvais ça trop cliché, trop arrangé avec le gars des vues. Le fait qu’elle soit enceinte, ça fait que son corps change tranquillement sans qu’elle ne s’en rende compte, et tout d’un coup, quand elle en prend conscience, c’est ce qui lui fait reprendre contact avec la réalité.

Qu’est-ce qui t’a donné le goût de parler de la maternité et qu’est-ce qui t’a inspiré toute la symbolique que tu as mis en place?

J’ai grandi dans une famille de femmes et en généralement, j’ai souvent été entouré d’un univers de femmes. Mais c’est surtout la symbolique de la lune en lien avec la maternité que je trouve belle. Le cycle de la lune pour moi, ça toujours été l’image d’une femme enceinte qui grossit jusqu’à la pleine lune. C’est une image persistante pour moi. Je suis loin d’être ésotérique, mais j’aime bien jouer avec les correspondances entre les cycles lunaires et les cycles de vie, se sont des parallèles intéressants à tracer, à explorer. C’est l’fun de créer des coïncidences, de jouer avec ça.

Quels sont tes projets pour la suite?

Comme je te disais, j’ai un recueil de nouvelles qui traîne toujours sur mon ordi et avec lequel je vais peut-être faire quelque chose un jour. Sinon, j’ai un autre projet sur lequel je travaille. J’ai peut-être une trentaine de pages d’écrites. Ce n’est pas vraiment la même chose que Bleu comme la lune, c’est à trois personnages cette fois-ci. En fait, j’en ai parlé à des amis qui m’ont dit que c’était assez semblable au premier finalement, mais je l’ai pris comme un compliment. J’explore encore les êtres polarisés, c’est encore un thème central, mais je veux le faire avec un ton différent, plus humoristique, plus léger.

Pour lire notre critique du roman Bleu comme la lune, rendez-vous au https://labibleurbaine.com/wp/?p=7595.

Crédit photo: Geneviève Roy

Écrit par: Catherine Groleau

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