«L'enterrement de la sardine» de Patrice Lessard – Bible urbaine

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«L’enterrement de la sardine» de Patrice Lessard

«L’enterrement de la sardine» de Patrice Lessard

Dans les dédales de la fiction

Publié le 27 octobre 2014 par Jérémi Perrault

Crédit photo : Héliotrope et Dominique Lafond

Troisième volet de la trilogie lisboète, L’enterrement de la sardine, publié chez Héliotrope, est une œuvre complexe et riche où la fiction et l’autobiographie se disputent le terrain.

Dès les premières pages de son quatrième livre, Patrice Lessard multiplie les marques et les signes qui laissent entendre qu’on a affaire à une œuvre autobiographique. Dans l’avant-propos, l’auteur annonce en guise d’avertissement au lecteur que le livre qu’il tient entre ses mains comporte, d’une part, des fragments d’un roman inachevé autour d’un personnage, Sebastián (le roman devait s’intituler Vie de Sebastián), et d’un récit autobiographique d’autre part. Chaque chapitre, dont la succession respecte l’ordre de l’écriture réelle plutôt que la chronologie de l’histoire, porte un astérisque délimitant les deux niveaux narratifs, les deux récits, nous averti l’auteur.

Le récit autour du personnage de Sebastián, grand Espagnol forcé à quitter Madrid, est constitué de fragments à la première personne. Les phrases jaillissent et s’estompent, comme de véritables bribes de pensée en continu. À mesure qu’on progresse dans l’œuvre, certains dialogues et actions se répètent, donnant à toutes ces variations de la Vie de Sebastián un caractère fragmentaire, indécis.

Les notes pour l’autobiographie arborent quant à elles un style plus neutre, bien que l’on retrouve cette narration particulière qui caractérise l’écriture de Patrice Lessard. Ce dernier se met lui-même en scène: le narrateur, Patrice Lessard, retourne à Lisbonne afin d’emprunter à nouveau les pas qu’ils l’avaient conduit à l’écriture de ses deux premiers romans, Le sermon aux poissons (2011) et Nina (2012). Il doit clore sa trilogie en terminant l’écriture de Vie de Sebastián. Accompagné de sa copine Clara et son grand ami Nicolas, il constate que la ville qu’il connaît si bien n’est plus tout à fait la même. Peut-être est-ce en raison de la «crise» dont tout le monde parle? Ou est-ce que la mort de son ami Sergio, rencontré à Lisbonne plusieurs années plus tôt, rend la ville plus terne? Les références biographiques utilisées par l’auteur accentuent la véracité de la partie autobiographique de l’œuvre. Mais tout n’est pas si simple.

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Le lecteur se rendra vite compte que les limites entre le récit autobiographique et le roman inachevé sont bien moins étanches qu’elles le semblaient au début de l’œuvre. En fait, plus le lecteur s’aventure dans le labyrinthe érigé par Lessard, plus la fiction prend en charge la partie autobiographique, la tord, la travestit. Le roman qu’écrit Patrice Lessard au fil de son autobiographie semble avoir échappé au contrôle de son auteur.

Une femme que le narrateur de l’autobiographie voit dans le bar d’un hôtel chic sera rapidement l’objet de sa quête: il lui faut absolument la retracer, quitte à faire appel à un expert de la filature. Un grand Espagnol un peu louche interfère dans la chasse à l’homme. Que vient-il faire dans l’histoire, et qu’a-t-il à avoir avec cette femme que Lessard tente de retrouver?

Le narrateur de l’autobiographie établit rapidement son quartier général au « café bleu », petit endroit crasse et souvent désert, idéal à l’écriture. Ce sera un des lieux où les deux histoires convergeront, se mêleront, et où les personnages que l’on croyait fictifs entreront dans la vie de Patrice Lessard, le prétendu auteur de l’autobiographie. Un curieux et inexplicable engouement pour cet endroit poussiéreux grandit tout au long de l’œuvre: alors que seuls les habitués de la place s’y retrouvaient pour boire quelques impériales et jouer aux dominos, un nombre effarant de touristes finissent par occuper bruyamment le café bleu, au grand dam du vieux propriétaire. L’écriture y serait-elle pour quelque chose, aurait-elle un pouvoir que l’on ne soupçonnait pas jusqu’alors? «[Après] avoir investit, après l’avoir dévoilé, avoir écrit sur lui, le café bleu ne serait plus jamais le même», écrit Lessard dont on ne sait plus très bien s’il s’agit de l’auteur ou d’un personnage.

Peu importe, au fond, de démêler le vrai du faux. La forme importe peut-être plus que l’histoire en elle-même, intrigante même si elle est un peu mince, un peu futile. Parce que c’est l’écriture qui mène, celle que manie avec adresse et minutie Patrice Lessard et qui cède toutes les libertés à la fiction.

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