«Tetsuo & Youth» du rappeur Lupe Fiasco – Bible urbaine

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«Tetsuo & Youth» du rappeur Lupe Fiasco

«Tetsuo & Youth» du rappeur Lupe Fiasco

Un rap où la maturité s'offre l'arrogance d'exister

Publié le 24 février 2015 par Marie-Hélène Proulx

Crédit photo : Atlantic

Plusieurs rappeurs raccrochent leur casquette et leur micro dès que quelques réflexions plus posées menacent de poindre à leur esprit adolescent. Ces désistements précoces constituent une grande perte pour ceux qui se sont laissé toucher par l'utilisation acoustique des intonations et du choc des sons, ce mélange explosif du langage poétique et de l'ambiance des quartiers obscurs, sur lesquels chaque rappeur entrouvre plus ou moins adroitement la porte. Et c'est justement par cet équilibre fragile et lyrique entre la rondeur sonore des mots un peu rudes et la recherche musicale à grand renfort de bruitages que Lupe Fiasco, tel un funambule urbain, parvient à se maintenir dans les hautes sphères de son style.

Il est vrai qu’à la base, le rap se voulait une forme d’expression offrant aux jeunes des quartiers durs la possibilité d’opter pour le stylo plutôt que le couteau, pour exprimer leur rage ou leur misère, à l’aide des moyens de fortune à leur disposition. Toutefois, plus grand-chose ne relève du bricolage dans ce que produit Lupe Fiasco. Ses couplets imagés et très longs ne sentent pas la facilité et les sons de trompettes et de violons s’y mêlent sans gêne aux autres notes de guitares et de synthétiseurs. Des refrains ouvertement inspirés du R&B trouvent droit de citer sur ce dernier album ainsi que des introductions faisant habilement appel à de belles sonorités jazz de même que, comble de l’indécence, quelques secondes rappelant… le classique.

Pourtant, les textes et l’ensemble de la musicalité n’en demeurent pas moins fidèles au registre pur et dur du rap. Un discours en slang mitraillant, la plupart du temps, des propos cyniques sur la culture de rue et le vedettariat, une critique sociale à tournure apocalyptique, les allusions salaces; rien n’y manque. Le fond ne demeure quand même pas très méchant. Il serait exagéré de dire que l’on sent dans ses textes la marque de l’humilité, mais Lupe Fiasco n’a jamais joué la carte du roi des gangsters ni du misogyne à tout cran (quoique ses commentaires sur les femmes aillent dans tous les sens), ce qui lui laisse plus de jeu lorsqu’il se lance dans ses élans dithyrambiques de sensibilisation.

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Peut-on vraiment lui reprocher ce côté «grand frère»? Certains le feront sans doute, même si de nombreux rappeurs l’ont précédé sur cette voie. Mais, en ce qui le regarde, les plus belles pièces de son album et les plus conformes au style rap sont justement les plus moralisatrices, comme celle où il décrit la dure réalité des délinquants incarcérés «Prisoner 1 & 2», ainsi que «Madonna», portant sur sa maman qui lui dit d’être sage, et un autre, «Adoration Of The Magi» dans laquelle il traite les junkies d’enfants gâtés. Les deux premières présentent aussi le net avantage d’être plus concises et d’être écrites dans une langue assez directe pour toucher même les bilingues approximatifs.

Ailleurs, bien que Lupe Fiasco interprète ses créations et collaborations avec une bonne maîtrise vocale ainsi qu’avec une articulation remarquablement claire, le rythme répétitif sous les longues avalanches d’images risque de créer une certaine lassitude aux oreilles moins attentives. Mais ce qui reste à découvrir donne aussi un bon prétexte pour recommencer l’écoute.

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