«Délire à deux» d’Eugène Ionesco, mise en scène par Isabel Rancier, à l’Escogriffe – Bible urbaine

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«Délire à deux» d’Eugène Ionesco, mise en scène par Isabel Rancier, à l’Escogriffe

«Délire à deux» d’Eugène Ionesco, mise en scène par Isabel Rancier, à l’Escogriffe

Faire la guerre pour passer le temps

Publié le 6 octobre 2014 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Isabel Rancier

Le bar rock l’Escogriffe, avec son allure glauque et ses murs de briques noires, est le lieu tout indiqué pour faire revivre, tous les dimanches et les lundis du mois d’octobre, le huis clos vécu par les personnages de Délire à deux, une pièce d’Eugène Ionesco. Dans une production du Théâtre In Extremis, les spectateurs sont invités dans l’intimité d’un couple en pleine crise qui, sans éviter quelques plaisanteries propres au style du dramaturge, porte plutôt à la réflexion.

Ils sont deux, mais ils en représentent des milliers. Les personnages imaginés par Ionesco – qui est décédé il y a de cela vingt ans cette année – sont seuls, barricadés et portent un regard sur l’extérieur, sans s’imaginer que leur comportement fait écho à celui des soldats, des dirigeants, des gouvernements, bref, de tous ceux qui se trouvent au-dehors. Car la guerre est aussi explosive et douloureuse à coups de fusils et de grenades qu’avec la force des mots.

Tortue ou limaçon? Tout part de cette simple question, alors qu’Elle use de beaucoup d’arguments pour prouver qu’ils sont en fait une même créature, et que Lui la contredit sans pourtant ajouter d’éléments à l’équation. Si Elle semble avoir tous les reproches du monde à lui faire, revenant sans cesse à son remord d’avoir quitté un mari bien pour un amant, Lui n’est pas seulement sur la défensive, et donc les critiques fusent de part et d’autre. Un Délire à deux? Plutôt une lutte sans merci où chaque insulte, voire chaque mot est pesé, et son impact sur l’autre, calculé.

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C’est bien le langage qui est la force de cette courte pièce de 50 minutes d’Eugène Ionesco, qui contient tout de même quelques habiles drôleries comme «Quand j’étais petite, j’étais une enfant». Mais de la mise en scène d’Isabel Rancier, la force est plutôt l’utilisation de l’espace. Se promenant à travers le bar, allant même jusqu’à l’arrière-boutique ou jusqu’aux toilettes pour explorer les lieux censés représenter l’appartement du couple, les deux comédiens (Catherine Huard et Arnaud Bodequin) sont loin d’être statiques, se laissant même aller à quelques danses chorégraphiées. Ces dernières permettent de sentir toute la tension et la relation amour-haine existant entre les deux amants, qu’elles soient rythmées pour représenter le tremblement causé par les bombes, ou lentes mais chargées d’intensité dans un moment de tendresse inattendue entre eux. Il faut aussi souligner l’ambiance musicale, qui contribue au climat de tension autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’appartement.

Les moments d’affection entre Elle et Lui sont rares, mais ils forment encore le plus beau de Délire à deux, comme quand Lui transporte Elle sur son dos, telle une tortue sa maison sur le dos, lentement à travers les spectateurs pour se rendre du bar à la scène, en se rappelant des temps meilleurs, avant la guerre – la leur ou celle qui fait rage à l’extérieur? Mais cela ne prendra pas beaucoup de temps avant que les insultes ne fusent à nouveau, car ils ne sont jamais contents de rien: que la guerre fasse rage à l’extérieur, qu’elle soit finie, que des obus explosent, que rien ne se passe… À travers ce tumulte, il y a bien une chose qui est claire: c’est qu’Elle et Lui sont pareils, et ils sont pareils pour tout le monde: ils se disputent pour passer le temps et pour se désennuyer.

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«Délire à deux» d’Eugène Ionesco, dans une mise en scène d’Isabel Rancier, est présentée à l’Escogriffe (4467, Saint-Denis), tous les dimanches et les lundis du mois d’octobre 2014.

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