«Boris sans Béatrice» de Denis Côté – Bible urbaine

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«Boris sans Béatrice» de Denis Côté

«Boris sans Béatrice» de Denis Côté

Portrait d'un homme fissuré

Publié le 3 mars 2016 par Rachel Bergeron-Cyr

Crédit photo : K-Films Amérique

Une fable aux aspects fantaisistes, voilà ce que nous offre Denis Côté avec Boris sans Béatrice. Faut-il se fier au titre? Est-ce vraiment ce personnage qui est sans sa Béatrice, ou ne serait-ce pas plutôt un Boris qui est sans… Boris?

Le film débute avec une ouverture pour le moins énigmatique dans laquelle on retrouve un Boris seul dans un champ, qui résiste tant bien que mal au vent créé par un hélicoptère venu d’on ne sait où. Symbole des épreuves à venir? Car des épreuves, il y en aura, et elles seront auréolées de mystère, par-dessus le marché.

À commencer par une femme aux prises avec une maladie déconcertante, la dépression, sans doute. Catatonique, sans vraiment bouger et sans parler de façon consciente: est-elle seulement là? c’est à se demander. Déjà, on sent la métaphore de la perte et du deuil se dessiner. Cet homme fier, orgueilleux et qui a réussi dans la vie vit très mal cette situation, la réfute même. «Pas moi! Pourquoi moi!», pourrait-on l’entendre clamer. Il est ni plus ni moins dans le déni.

Arrive alors ce troublant deus ex machina interprété par Denis Lavant, parfait dans le rôle, soit dit en passant. Donc, l’avertissement que cet inconnu lance à Boris est clair autant qu’il est déstabilisant et surréaliste: pour sauver sa conjointe (de ce qu’on devine être la mort), il devra changer, car lui seul est responsable de la détérioration de celle-ci.

Se retrouve-t-on dans un épisode de Twin Peaks, dans l’hôtel de The Shining? Boris Malinowsky serait-il entrain devenir… fou?

Il est assurément pris au dépourvu devant l’état de sa femme – qu’il aime – ce qui ne l’empêche pas de prendre maîtresse comme d’autres prennent pays. Il a honte de sa fille, cherche l’attention de sa mère, qui au final, le rejette plutôt froidement. De manière très consciente, probablement, car elle-même se sent délaissée par son fils, elle qui passe ses jours dans un foyer pour personnes âgées.

Assurément, on se retrouve devant un personnage qui se fissure. À propos de cela, l’affiche le montre très bien. Un Boris Malinowsky au visage terne, habité par divers personnages et à la plastique plâtrée qui se craque. Une image vaut mille mots, dit-on. 

Divers personnages, donc, comme autant d’alter ego qui, en un certain sens, viennent faire la morale au principal intéressé. Est-ce donc dire que l’ensemble est moraliste? Pas forcément, car si tous ces individus qui gravitent autour de Boris sont des parties de lui-même, il est à comprendre qu’il se blâme lui-même. Peut-on en vouloir à quelqu’un qui s’autocritique? On peut n’en être que désolé.

James Hyndman, qu’on n’avait pas vu au cinéma depuis plusieurs années dans un rôle substantiel, fait un retour réussi avec ce personnage aux multiples facettes. Il joue l’idée d’une certaine contemporanéité chez l’homme moderne doté d’une insensibilité, qui se révèle au fond seul et fragile. Ce film au visuel net, propret et étudié peut rapidement créer l’inconfort, surtout alors que tout autour est si chaotique. C’est anxiogène: une sensation d’étouffement se fait sentir, dans ce qui s’approche parfois d’un huis clos soutenu par des plans-séquences maîtrisés. C’est forcément théâtral, relevé notamment par la présence de Denis Lavant, l’inconnu aux multiples facettes (lui aussi), on le verra plus tard.

On sent bien l’influence de réalisateurs européens ou de maîtres du cinéma américain. Mais on reste dans la modernité et on ne va pas vraiment dans le cinéma farouchement indépendant à la Cassavetes. Autant dire que le film de Denis Côté va partout et peut-être nulle part en même temps. C’est un peu se retrouver dans la tête de quelqu’un d’autre que soi. Y arrivez-vous? Non. Peut-être un peu. On ne se retrouve parfois même pas dans sa propre tête.

Lors de la projection du film aux Rendez-vous du cinéma québécois, le producteur du film a ironisé (bien gentiment), en disant que ce film serait sans doute le plus accessible et celui qui aurait le plus de succès en salles. Peut-être a-t-il raison.

On pourrait facilement dire que le film va dans tous les sens. Mais on pourrait également dire qu’il touche l’universel: un homme mal dans sa peau, embourbé dans un confort inconfortable, au final. À ne pas se poser de questions, à ne pas douter, étouffe-t-on son «surmoi»? Surmoi qui, par ailleurs, fourmille à travers les deux autres instances (moi et ça) qui formeraient la personnalité et qui sont à la base de la célèbre théorie freudienne…

Le film sort au Québec le 4 mars 2016.

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