«Les êtres chers», le deuxième opus d'Anne Émond – Bible urbaine

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«Les êtres chers», le deuxième opus d’Anne Émond

«Les êtres chers», le deuxième opus d’Anne Émond

Le malheur des gens heureux

Publié le 18 novembre 2015 par Alexandre Beauparlant

Crédit photo : www.facebook.com/lesetreschers

On l'attendait avec impatience. En 2012, son dernier (et premier) long-métrage, Nuit #1, consacrait la cinéaste et lui taillait, du même coup, une place de choix parmi les plus beaux espoirs à surveiller du cinéma québécois. Un huis clos intense et intimiste, avec pour seuls personnages deux amants de passage et une froide nuit pluvieuse d'automne. Le récit en avait fait réfléchir plus d'un et remué les tripes des autres, aussi les récompenses et les éloges ne manquèrent pas. Anne Émond récidive avec brio en offrant une nouvelle oeuvre douce et belle, à laquelle on ne pourra reprocher un manque d'ambition: une saga familiale multigénérationnelle étalée sur près de 25 ans.

Dès les premiers instants, une tragédie. Le patriarche de la famille Leblanc, un homme aimé et aimant, est retrouvé sans vie dans son garage, pendu au bout d’une corde. On s’explique difficilement la chose et certains membres de la famille sont mis à l’écart du secret, question de les «protéger».

Ainsi, David (Maxim Gaudette), l’aîné des enfants, croira son père emporté par une crise cardiaque. Il héritera des outils de son défunt père et se lancera à temps plein dans la confection de marionnettes, prenant en charge l’affaire familiale. La vie poursuivra son cours normal. Ellipse. Rencontre avec Marie (Valérie Cadieux) et coup de foudre instantané. Nouvelle coupure. David et Marie sont devenus parents d’une petite fille, baptisée Laurence.

Au cours d’une soirée de réveillon en famille où l’alcool coule à flots, l’aîné des Leblanc apprendra finalement la vérité de la bouche de son frère André (Mikael Gouin). La mort de leur père n’avait en effet rien d’accidentel ou d’inévitable. Suite au déni et à la colère, une grande mélancolie s’installera chez David pour ne plus jamais le quitter. Les années passeront.

Laurence grandit et devient une adolescente (Karelle Tremblay, incarnant la version ultime du personnage). L’accent narratif se dépose progressivement sur elle. La vieille garde tend le flambeau vers la jeunesse, avec tous les questionnements et incertitudes liés à cet âge trouble.

Anne Émond parvient à condenser les aléas de trois générations en se concentrant sur quelques moments clés qui viendront toujours prendre leur importance en temps et lieu. Des passages chaleureux, cocasses et lumineux. Les êtres chers, malgré sa thématique tournant autour du suicide, n’est pas un film lourd et démoralisant. Les moments de joie surpassent en nombre la noirceur.

Petit bémol (un détail, vraiment), le personnage de David qui semble ne jamais vieillir. En ce qui me concerne, la sensation de voyage dans le temps, à travers les années, s’en trouva quelque peu affectée. À moins que la génétique de David ne soit extraordinaire, ce qui lui ajouterait une nouvelle qualité…

Il est beau, il est fin, il crée des choses de ses mains, les enfants l’aiment, il joue de la guitare et chante, il ne se fâche jamais (ou presque), ne dit jamais un mot de travers. En gros, il tape un peu sur les nerfs, et son frère André ne manquera pas de le souligner un soir de joute de bras de fer (que ce dernier aura perdu, parce que David est aussi le plus fort). Et pourtant, on ne peut que s’attacher à ce personnage trop beau pour être vrai. Parce que derrière chaque sourire, chaque blague et chaque marque d’affection se cache une tristesse infinie et sans nom.

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Maxim Gaudette réussit admirablement bien à capter cet état d’âme si particulier, à mi-chemin entre la béatitude et le désespoir. Karelle Tremblay, que l’on avait pu voir dans Corbo (2014), irradie l’écran et constitue à n’en point douter une révélation. Âgée de seulement 19 ans, ne soyez pas surpris d’en entendre parler de plus en plus dans les médias. Et ce sera amplement justifié.

La magnifique chanson «J’ai planté un chêne» de Gilles Vigneault, utilisée à trois occasions, représente un bon indicateur du voyage émotif vécu par le public. La première fois, on pouffe de rire et on sourit en coin. David chante la sérénade à sa flamme et malgré la beauté des paroles, on ne peut s’empêcher de noter le côté quétaine de la chose. À cet instant du film, nous ne sommes encore que de simples spectateurs, distants.

Le morceau revient une deuxième fois, à la radio, alors que David et une bonne partie de son clan œuvrent dans l’atelier familial. On sourit à nouveau, mais sans se moquer. Nous ne sommes plus de simples spectateurs. La famille Leblanc est venue nous chercher. On se sent bien avec eux, confortable, complice, au chaud.

L’ultime reprise aura lieu autour d’un feu de camp. Les sourires céderont la place aux larmoiements. On sent que quelque chose tire à sa fin; la peur et l’angoisse nous gagnent. La lourdeur de vivre, portée par David, sera mise à nue. 

Toutefois, à travers la grisaille des jours tristes, envers et contre tous, la lumière finira par rejaillir de tous ses feux. N’allez pas croire que je vous gâche quoi que ce soit, mais cette histoire se terminera bien.

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