«Rebelle» de Kim Nguyen: vivre l'intensité par le regard – Bible urbaine

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«Rebelle» de Kim Nguyen: vivre l’intensité par le regard

«Rebelle» de Kim Nguyen: vivre l’intensité par le regard

Publié le 19 avril 2012 par Jim Chartrand

Auréolé de deux prix à Berlin, Rebelle est le tout nouveau film de Kim Nguyen, une œuvre sensible portée par l’excellence d’une jeune fille d’une douzaine d’années à peine, qui parvient à nous transmettre toute la dureté et la gravité d’une réalité qu’on ne peut que très difficilement s’imaginer, ne serait-ce qu’à moitié.

Kim Nguyen présente des œuvres mitigées depuis ses débuts compte tenu de la forme éclatante et éclatée qu’il propose en opposition à l’importance sociale de ses sujets. On pense immédiatement à l’inventif Truffe, dont certains essaient encore de se remettre. Si, à l’instar de Robin Aubert, il ne délaisse pas un certain réalisme magique avec ce nouveau long-métrage, il poursuit sa lancée entamée avec La cité cherchant à s’éloigner du fantastique, en évitant également l’esthétisme léché qui faisait la marque de ses films antérieurs, pour se concentrer davantage sur ce qui pourrait être son film le plus radical. En effet, peu de musique ou presque, une direction photo naturelle qui filme les évènements avec un sentiment de réalité et d’immédiat, et un regard neutre qui laisse passer l’émotion par ses interprètes.

Rebelle, donc, c’est l’histoire d’un enfant-soldat recrutée en bas âge qui a rapidement la lourde tâche, pour ne pas dire l’horrible directive, d’assassiner ses propres parents. Au fil des années, évacuée d’une jeunesse dite normale, elle déambule entre ce désir de satisfaire et cet autre de vivre simplement. Elle veut connaître l’amour, nourrir ses désirs, mais cette guerre invisible située en terrains éloignés et ignorés la pousse à participer à des actes violents et marquants.

Ainsi, Kim Nguyen tisse autour de Komona, son protagoniste, un bon nombre de personnages nuancés entre le noir et le blanc, la bonté et la méchanceté, mais ne se permet jamais de leur laisser l’avant-plan. Ce qui nous intéresse ici, c’est la jeune fille par qui tout passe, par laquelle tout le film s’avère filtré de son regard. Difficile de trouver un jugement dans cette succession de situations intercalées de plans méditatifs de forêts, nous laissant donc la seule possibilité de vivre le tout, de le ressentir droit au cœur. On ne nomme aucun lieu d’ailleurs, attribuant ainsi un sentiment à la fois d’anonymat à cette œuvre fictive, mais également de généralités, en exprimant le côté commun de cette grave réalité qui est ici dépeinte.

Dans ses moments les plus durs, autant que dans ses moments les plus libérateurs, Rebelle nous permet donc de s’immiscer dans l’aliénation de cette jeune fille qui ne s’appartient plus au fil du temps. Il faut dire qu’elle a de la difficulté à suivre ses propres instincts, victime de nombreux traumatismes, en plus d’être hantée par des «fantômes» qui la guident et lui rappellent les mauvaises actions du passé.

Si le film parvient à nous transporter en terres inconnues, à dépayser complètement (encore plus d’ailleurs que n’avait su le faire le visuellement somptueux La cité), il jouit d’une distribution de premier ordre qui se lance entièrement dans le projet, corps et âme, interprétant ce sentiment d’inconnu avec maîtrise et assurance. Toutefois, la qualité première du film réside dans la présence de l’hallucinante Rachel Mwanza, Congolaise d’origine, trouvée sur les lieux, un pari ambitieux qui profite de l’audace sans limites de Kim Nguyen. Difficile de dire comment elle y parvient, si elle joue réellement un rôle, ou trace le miroir de sa propre réalité, mais il y a quelque chose autour de cette jeune fille qui hypnotise dès sa première apparition. Peut-être sa voix, son regard et la subtilité de son jeu, qui l’aident à incarner l’évolution maladive de son personnage, et, pousse le spectateur à conserver un intérêt notable pour voir jusqu’où elle sera prête à aller et du coup, à nous mener.

Certes, Kim Nguyen semble encore sur le terrain de l’apprentissage et de l’exploration. Cet essai sous forme de sage parenthèse favorisant une certaine improvisation n’est toujours pas sans failles ou sans quelques creux çà et là, mais le style du cinéaste est certainement de plus en plus affirmé et précis. Il faut donc peu de volonté pour se laisser conquérir par cette œuvre humaine et remplie de cœur. Il suffit de s’assoir, de la regarder, et de se laisse transporter. Êtes-vous prêt à vivre l’expérience à fond et à vous laisser bouleverser?

Somme toute, Kim Nguyen a su créer à nouveau une œuvre vraie et sincère qui marquera les esprits. Ses films, soit dit en passant, ne laissent que très rarement indifférent, que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Comme quoi le cinéaste est loin d’avoir dit son dernier mot.

Appréciation: ***½

Crédit photo: Metropole Films

Écrit par: Jim Chartrand

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