«Ceux qui font les révolutions à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau» de Mathieu Denis et Simon Côté – Bible urbaine

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«Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau» de Mathieu Denis et Simon Côté

«Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau» de Mathieu Denis et Simon Côté

Une révolution au goût amer

Publié le 5 novembre 2016 par Rachel Bergeron-Cyr

Crédit photo : www.kfilmsamerique.com

Trois ans après l’échec du «Printemps érable», quatre jeunes marginaux bousculent l’ordre établi pour faire valoir leur refus de la société québécoise actuelle. Leur rébellion et leurs actes revendicateurs ont tôt fait de frôler le terrorisme, ce qui n’est pas sans créer des tensions au sein de leur groupuscule.

Récipiendaire du Prix du meilleur film canadien au TIFF cette année, c’est peu dire que le film de Mathieu Denis et Simon Côté était attendu. C’est donc dans une salle comble qu’il a été présenté au Cinéma Impérial un peu plus tôt ce mois-ci à l’occasion du Festival du nouveau cinéma.

Véritable brûlot politique comme il s’en fait peu souvent au Québec, cette œuvre de 183 minutes était, sans vouloir tomber dans le cliché, un pari risqué. Si une telle proposition artistique se doit par définition d’être radicale, à l’instar des idées révolutionnaires véhiculées par les protagonistes et des moyens visuels utilisés, le résultat en est toutefois un qui manque cruellement de nuances.

Morceau de musique classique en ouverture, du heavy métal en guise d’intermède, de nombreux plans-séquences où on voit déambuler les protagonistes, citations écrites directement à l’encre sur les corps nus de ces derniers, passages d’œuvres célèbres récités en cœur ou individuel, regards caméra, citations écrites à l’écran pour un passage d’une scène à une autre, images d’archives, fondu au noir… vous aurez compris que ce film pullule de techniques cinématographiques diverses. Du vrai cinéma!, diront certains. Mais c’est aussi une production très (trop?) académique.

Les acteurs, en grande forme pour la plupart, se débrouillent très bien, avec des textes pas faciles à livrer. Véritable mise à nue physique et émotionnelle, ils crient leurs dialogues avec aplomb et courage. À ce niveau, le spectateur se sent happé par eux, par leurs performances très théâtrales. On embarque.

Là où on commence à perdre pied, c’est dans le portrait de leurs passés et leurs contradictions. Tous, sauf la transgenre, interprétée par Gabrielle Tremblay, qui se révèle être le personnage le plus sensible, touchant et lucide du groupe, semblent avoir grandi dans une famille aimante et aisée, qui leur a permis de faire ce qu’ils voulaient. Est-ce donc là le point de départ de leur rébellion? Leurs familles prises dans un système capitaliste? Où s’en veulent-ils d’y avoir participé? Ce n’est pas clair. Si ça se trouve, ça n’a pas d’importance. Mais ça finit tout même par manquer de contours, les personnages auraient gagné à être mieux définis.

Autre part, on ne peut que s’interroger face aux attitudes qu’ils ont les uns envers les autres. Alors que leur amie transgenre se prostitue et divise l’argent obtenu avec ses comparses, jamais on ne les voit culpabilisés face à cette situation de plus en plus intenable pour la principale intéressée.

À toutes les fois où on les sent proches d’avoir des émotions autres qu’en lien avec leur combat, ils se referment sur eux-mêmes, en s’éloignant de leurs proches, de façon de plus en plus hermétique. Ils nous apparaissent de plus en plus égoïstes, durs et radicaux. On ne peut difficilement adhérer à leur cause, aussi importante soit-elle.

Entendons-nous, c’est un film qui dérange, qu’on doit prendre le temps d’absorber. C’est tout sauf lisse. Ça ne s’apparente pas à grand-chose, (sauf peut-être Le Temps des bouffons de Pierre Falardeau et Le Confort et l’Indifférence de Denys Arcand).

On ne peut qu’applaudir la démarche, les valeurs de production, l’ambition du projet. Mais un tel film se doit d’être questionné pour ses forces et ses faiblesses. On ne peut passer sous silence les agissements et les personnalités des personnages qui y sont exposés. Au contraire, il m’apparaît évident qu’il faut les questionner doublement. En fiction, un personnage, au nom de ses idéaux peut-il tout faire? À la vue des images de Ceux qui font les révolutions…, la question se pose de manière inévitable.

Un film de fiction a-t-il la responsabilité de proposer un reflet adéquat de la société dans laquelle il évolue? Avec tout ce qu’on entend ces dernières années sur la diversité culturelle dans nos écrans, il est difficile de passer à côté que cette œuvre, à ce niveau ne représente pas le Québec actuel, ni le Montréal d’aujourd’hui. Faut-il en comprendre que la révolution tentée par ces quatre jeunes (et tentée il y a de cela longtemps, par tous ceux cités dans le film) est réservée à une certaine portion de la société? Qu’il faut être un Québécois «pur laine» pour en comprendre les enjeux? La scène avec l’esthéticienne de nationalité chinoise est à ce sujet on ne peut plus équivoque. Parce qu’elle n’est pas native du Québec, elle n’en a que faire des questions politiques au Québec. Pas très inclusif…

Bien sûr, question diversité à l’écran, ils ont certainement fait leur part, en donnant un rôle important à une actrice transgenre, ce qui est loin d’être négligeable. Mais il ne faut pas être dupe non plus. Par sa seule présence, elle incarne le double, la dualité d’un Québec qui cohabite (bien malgré lui) dans son propre pays, mais qui a clairement choisi son camp.

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Par www.kfilmsamerique.com

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