«Victoria» de Sebastian Schipper – Bible urbaine

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«Victoria» de Sebastian Schipper

«Victoria» de Sebastian Schipper

Un film en une seule prise frôlant la prise de tête

Publié le 6 novembre 2015 par Alexandre Beauparlant

Crédit photo : Senator Film Produktion

Sebastian Schipper participa jadis à l'aventure Run Lola Run, petit bijou du septième art racontant grosso modo le déroulement d'un vol d'argent merdant de façon pitoyable. Aujourd'hui derrière la caméra, l'Allemand propose une nouvelle histoire de vol, avec comme élément de vente une particularité surprenante: son film ne contiendra qu'une seule prise. Pas de découpage ni de tours de passe-passe avec fondus camouflés comme l'avait déjà fait le célèbre Rope (1948) d'Alfred Hitchcock. Birdman, Children of Men et les autres n'ont qu'à bien se tenir. On nous promet une expérience inoubliable. Vraiment?

Victoria (Laia Costa), une jeune femme originaire de Madrid, fait la rencontre de quatre Berlinois en sortant d’une boîte de nuit. Sonne (Frederick Lau) et ses potes lui promettent une chouette soirée si elle accepte de les suivre. Un lien spécial se développera progressivement entre les deux inconnus alors qu’ils se baladeront au coeur de la ville endormie. Un appel téléphonique viendra toutefois gâcher la fête.

Un des amigos, un dénommé Boxer (Franz Rogowski), apprend qu’il doit rembourser l’homme qui payait pour sa protection lors de son passage en prison. Une rondelette somme de 10 000 euros, que ne possède évidemment pas Boxer au fond de ses poches de pantalon. Par la force des choses, Victoria se retrouvera derrière le volant d’une voiture volée, à jouer au chauffeur pour quatre voleurs nazes sans la moindre expérience en la matière. Le vol aura lieu et laissera place à des conséquences fâcheuses.

Tout ça en une seule prise.

Le caméraman recevra la première mention lors du générique de fin. Bien mérité, considérant qu’il est le membre de l’équipe technique ayant le plus de charge sur les épaules afin d’assurer la notoriété du film. Si la caméra plante, tout est foutu. La cinquième tentative de tournage complet fut la bonne. L’effort est louable, sauf que…

Si le mouvement de caméra se montrait un brin plus fluide, on aurait moins l’impression que toute cette mise en scène n’a rien de naturel. Comprenez-moi bien: une caméra tremblotante ne constitue pas en soi un élément de disgrâce (surtout dans le cadre d’un film riche en action), mais lorsqu’on sent trop la présence du caméraman (celui-ci doit suivre les acteurs en montant et descendant des escaliers, ou bien courir dans la rue pour les rattraper sur leur bicyclette), l’opus perd soudainement de son intérêt premier, cette fameuse super-méga-ultra longue et unique prise, car n’importe quel caméraman d’expérience peut tenir une caméra portable, filmer à la va-vite et suivre un groupe deux heures durant. On ne sent pas l’envie de raconter une histoire, mais plutôt le désir de «battre un record».

Avec des équipements de plus en plus légers et accessibles à tous, la prouesse réalisée par Victoria deviendra de plus en plus dérisoire au fil du temps. Pensons, par exemple, aux vidéos lipdub qui pullulent sur les internets.

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Un découpage aurait donc été bénéfique, au final, puisqu’on y aurait aussi gagné du temps. Le film dure deux heures et quatorze minutes. Une bonne partie de ce temps est utilisée pour les déplacements des personnages d’un point A à un point B. Et comme les évènements se déroulent dans une vraie ville, avec de vraies rues, de vrais bâtiments et de vraies distances, on peut, par moments, trouver tout ça vraiment long.

Une comparaison grotesque me vient à l’esprit. Si vous ne le connaissez pas, je vous (dé)conseille la filmographie de Roger Normandin. Amateur de plans-séquences, ce dernier nous conviait, entre autres atrocités, à une balade en voiture en partance de sa maison avec pour destination le Zellers de son village, le tout en temps réel. In-su-por-ta-ble. Les enjeux se révélaient certes différents, mais l’agonie presque la même. On avait envie de se pincer ou de rire nerveusement. Mais revenons à Victoria.

Alors, si nous retirons la prémisse «une seule prise», que reste-t-il? Un film de vol de banque assez moyen. L’intrigue n’a rien d’original, la majorité du récit étant improvisée à partir d’un script de 12 pages (cette quantité équivalant à environ 12 minutes de matériel). Et ça paraît. Les temps morts, entre deux tournants narratifs, s’étirent. On assiste bien malgré nous aux conversations niaises et creuses de cette bande de joyeux délurés nocturnes. Victoria tombera inexplicablement amoureuse de Sonne, expliquant son manque de jugement flagrant à venir. Les acteurs se montrent crédibles, sans plus. Comme de capter une conversation de trottoir, le matin vers 3h, à la sortie des bars. Un gros pouce en l’air pour l’impro longue durée, toutefois.

En définitive, Victoria ne sera tout au plus qu’une petite note dans le livre d’histoire du cinéma. L’idée se voulait excitante, mais le rendu final ne tient pas ses promesses.

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