«Zoom sur un classique»: Shoah de Claude Lanzmann – Bible urbaine

CinémaZoom sur un classique

«Zoom sur un classique»: Shoah de Claude Lanzmann

«Zoom sur un classique»: Shoah de Claude Lanzmann

Le plus grand film jamais réalisé sur la tragédie des Juifs

Publié le 9 juin 2020 par Mathilde Renaud

Crédit photo : Images tirées de l'oeuvre «Shoah» de Claude Lanzmann

La construction du film Shoah a duré plus de douze années. Douze années pendant lesquelles son créateur, Claude Lanzmann, a rassemblé témoins, survivants, historiens et nazis afin de dresser un portrait documentaire de la tragédie ayant frappé les Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale. Ce très long documentaire a récolté de nombreuses critiques dithyrambiques, mais a aussi reçu son lot de controverses. Au coeur de la polémique: l'image de la Pologne présentée à travers cette oeuvre. De nombreux Polonais se sont révoltés contre l'absence de commentaires sur ceux qui ont courageusement sauvé des milliers de Juifs dès qu'ils en ont été capables. Zoom sur un classique qui se doit d'être un gardien de la mémoire.

De Holocaust à Shoah

Shoah est un long film documentaire qui dure près de dix heures. Oui, c’est une production immense qui aura pris au réalisateur de nombreuses années avant de la présenter au public. Mais malgré sa longueur, c’est un film rigoureux et intransigeant. Rien n’est présenté au hasard. Toutes les paroles, les gestes et les regards sont importants.

Shoah, c’est un film sur les survivants juifs. C’est un film sur les camps de concentration nazis et leurs survivants qui évite d’utiliser ne serait-ce qu’une seule image d’archives afin de laisser toute la place au présent.

C’est aussi grâce à ce film que le terme «Shoah» est apparu. Et aujourd’hui, c’est une oeuvre qui se doit d’être connue et visionnée (partiellement ou entièrement) afin de se souvenir.

Des images d’archives? Non merci!

Pour l’époque, le fait d’avoir volontairement évité l’utilisation d’archives était un choix judicieux. Nuit et Brouillard d’Alain Resnais est un film qui montre des archives (en noir et blanc) juxtaposées à des images de l’époque, celles-là en couleur. Ce long métrage très bien réalisé et réfléchi ne cherche pas à substituer ce qu’il s’est réellement passé, mais il mêle plutôt art et mémoire. L’oeuvre de Resnais résiste à la tentation de devenir un objet de musée.

La vision de Claude Lanzmann est diamétralement opposée. Pour le réalisateur, les images d’archives sont fragmentaires et témoignent même d’une sorte de manque. De prime abord, il sait que les images marquantes de cette époque n’existent pas. Il assume le fait qu’il ne peut pas tout combler, et c’est justement les traces de cet effacement qu’il cherche à filmer. C’est pourquoi il demande à ses intervenants de réorganiser la parole qui leur a été enlevée dans des gestes spécifiques, comme le parcours du train vers Auschwitz – Birkenau qu’un chauffeur dirigeait régulièrement.

La force de l’oeuvre se trouve avant tout au sein des témoignages et des humains rencontrés. En effet, à partir de Shoah surgit une figure qui n’existait pas dans l’Histoire: le témoin. La richesse des témoignages devient, pour Lanzmann, un matériel historique tout à fait valable, et c’est pour cette raison qu’il retire toute envie de travailler avec de vraies archives. Et grâce à Shoah et à la reconnaissance obtenue, ces témoins ne sont plus seulement des survivants.

L’une des séquences les plus renversantes de l’oeuvre est celle où Lanzmann visite un coiffeur, qui est en train de couper les cheveux d’un de ses clients. Il lui raconte son histoire. Puis, au fur et à mesure que les minutes passent, son discours se coupe, les sanglots montent, alors qu’il se souvient d’un moment où l’un de ses compagnons a été forcé de raser les cheveux de sa femme et de sa soeur tout juste avant qu’elles se rendent dans une chambre à gaz…

Ce qu’on retient des témoignages de Lanzmann, c’est la force de la mémoire humaine qui ne peut en aucun cas se défiler.

Dans le cas du coiffeur, on ressent sa souffrance à sortir ses mots et à revivre ses émotions. Tous ses gestes et toutes ses émotions sont habilement filmés par une caméra qui finit par devenir invisible pour l’intervenant, qui retombe alors dans ses souvenirs. 

Une esthétique sobre et un devoir de mémoire

L’oeuvre est réellement sans fioritures; aucune musique, aucune voix off, aucune image d’archive. Dans Shoah, c’est le corps qui transmet les émotions et la dimension traumatique vécue. C’est lui seul qui peut témoigner adéquatement ce qu’il s’est passé dans les camps de concentration. Après Auschwitz, la poésie n’est plus possible. Et cette absence de poésie se reflète tout d’abord par l’image sobre et le traitement simple de ses éléments.

L’une des principales forces du cinéma c’est d’être apte à devenir un témoin d’une époque. Ses oeuvres témoignent de la mémoire audiovisuelle. Le septième art possède cette facilité certaine d’évoquer et surtout de transmettre la mémoire à de nombreuses générations.

Avec Shoah, Claude Lanzmann nous laisse un fragment précieux de l’Histoire, qui s’effrite de jour en jour avec la disparition des témoins qu’il nous présente.

Même si certains ne sont plus parmi nous physiquement, ils seront toujours en vie à travers cette oeuvre, prêts à témoigner et à aider les autres à se rappeler et à ne pas oublier

Pour consulter nos précédentes chroniques «Zoom sur un classique» et ainsi avoir votre dose bihebdomadaire de septième art, suivez le labibleurbaine.com/Zoom-sur-un-classique.

«Shoah» de Claude Lanzmann en images

Par Images tirées de l'oeuvre «Shoah» de Claude Lanzmann

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