«Aphélie» de Mikella Nicol chez Cheval d'août éditeur – Bible urbaine

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«Aphélie» de Mikella Nicol chez Cheval d’août éditeur

«Aphélie» de Mikella Nicol chez Cheval d’août éditeur

Étrange attraction

Publié le 28 novembre 2017 par Sara Thibault

Crédit photo : Cheval d'août éditeur

Comme dans son premier roman Les filles bleues de l’été, Mikella Nicol aborde les difficiles relations entre filles. Son mémoire de maîtrise portait d’ailleurs sur la solidarité entre femmes dans l’institution littéraire, qu’elle situe essentiellement dans la transmission de l’héritage féminin et féministe.

Dans Aphélie, l’héroïne se complait dans une dynamique d’autosabotage. Elle vit volontairement coupée du monde, ne ressent pas de désir d’engagement et poursuit depuis longtemps une job qu’elle n’aime pas. Elle s’accroche au fait qu’un emploi de nuit dans un centre d’appel lui permet de savourer sa solitude, de consulter des sites de prédictions astrologiques et de se masturber en toute tranquillité. Pour se sentir vivante, elle boit de la bière avec son ami Louis au bar du quartier et elle recherche nonchalamment à attirer l’attention des hommes qui l’entourent sans arriver à remplir son vide existentiel.

La narratrice s’enferme dans une logique patriarcale paradoxale, alors que les femmes représentent pour elle des rivales menaçantes, des doubles fantasmés d’elle-même, dont elle doit se méfier. Or, c’est du côté du féminin qu’Aphélie trouvera le moyen de sortir de sa torpeur. Alors que la canicule bat son plein à Montréal, la narratrice fait la rencontre de Mia en qui, pour la première fois, elle perçoit une alliée, une amie et une amante potentielle. L’hostilité et la compétition qui caractérisaient ses relations avec les autres femmes jusqu’alors laissent place à une fascination déroutante. Puis, la disparition d’Anaïs Savage, une jeune fille qu’elle pense avoir aperçue lors d’un de ses interminables quarts de travail, lui donne une quête à laquelle s’accrocher compulsivement. Dès lors, elle cherche à imaginer ce qui a pu arriver à cette femme, jusqu’à ce que celle-ci soit retrouvée morte dans un champ.

Avec une grande habileté, Mikella Nicol intègre à son récit une réflexion intéressante sur le rapport au corps, et plus particulièrement au corps sexué. Les menstruations apparaissent d’ailleurs comme un motif qui traverse le roman, alors que la narratrice se réveille sans cesse en constatant des taches de sang au fond de ses culottes.

En filigrane du roman, on constate que le fait que les femmes soient souvent définies par les caractéristiques de leur apparence physique fait en sorte de susciter chez certaines d’entre elles une rivalité avec celles qui leur ressemblent. C’est pour cette raison que la narratrice voit dans la blondeur des cheveux de Florence un double indésirable d’elle-même: «J’ai pensé: Florence. Ou peut-être s’agissait-il de moi. Le magnétisme entre nous me torturait le ventre». De même, le fait qu’Aphélie hallucine sans cesse Mia dans les lieux publics renforce la banalité de l’apparence de celle-ci, comme si Mia possédait une quantité phénoménale de jumelles physiquement interchangeables.

Ainsi, Aphélie constitue un roman incontournable, autant pour la beauté de sa langue que pour la justesse avec laquelle l’auteure rend compte de la perversité de certains raisonnements féminins. Mikella Nicol constitue définitivement une parole forte de la littérature québécoise contemporaine.

«Aphélie» de Mikella Nicol, Cheval d’août éditeur, 128 pages, 20,95 $.

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