«Celle que vous croyez» de Camille Laurens chez Gallimard – Bible urbaine

LittératureRomans étrangers

«Celle que vous croyez» de Camille Laurens chez Gallimard

«Celle que vous croyez» de Camille Laurens chez Gallimard

Vieillir, à l’ère du 2.0

Publié le 5 mars 2017 par Éric Dumais

Crédit photo : Éditions Gallimard

Roman aussi ingénieux que le portrait sociétal que dresse son auteure de l’amour et du vieillissement à l’ère des réseaux sociaux, Celle que vous croyez de Camille Laurens s’avère un brillant réquisitoire sur la perversité du virtuel et ses effets sur nos vies sentimentales. La créatrice d’Index et Romance nerveuse met le doigt sur l’un des maux de notre société dans cette histoire racontée en trois temps.

En préambule du livre, la célèbre citation, «Va, cruel, va mourir, tu ne m’aimas jamais!», de Pauline, à l’égard de Polyeucte dans cette pièce classique de Corneille, donne déjà le ton de cette récente publication de Gallimard, et ce, avant même que le lecteur ait osé s’immiscer dans l’univers de la Française Camille Laurens, de son vrai nom Laurence Ruel. Et c’est exactement ce que reprochera la protagoniste Claire Millecam (tantôt Claire Antunès) à ce Chris qui lui dévorera l’âme suite à un rejet cruel de sa part devant le vieillissement d’un corps «dépérissant».

Dans un premier temps, et avant même que la relation ne s’envenime entre les deux complices, on découvre l’âme torturée de Claire, en tête à tête avec Marc B., son psychologue, qui la reçoit dans le décor terne et blafard de l’asile où on lui sert à une cadence synchronisée son Valium et son Xanax jour après jour. À ce confident, qui ne prendra pas la parole de suite, elle lui déballe tout: son amour-catastrophe pour son amant Jo, sa liaison virtuelle mais intense avec l’ami Chris, et de rares détails sur son existence passée avec son ex-mari où la vie lui a procuré deux enfants.

À l’instar des Mots pour le dire de Marie Cardinal, on assiste comme lecteur-témoin à un pan explicite de la vie de cette Claire, qui confesse s’être servi de Facebook pour se créer un nouvel avatar «au goût du jour», à savoir le profil d’une Claire Antunès, jeune, séduisante, bien en shape, afin d’entretenir une liaison mensongère avec un homme volage et libertin duquel elle tombera amoureuse.

«C’était une mue terrible, douloureuse: redevenir Claire Millecam, agrégée de l’université, divorcée, parent isolé, mère de deux enfants. Quitter Claire Antunès et le bonheur d’aimer et la joie d’être aimée, m’en débarrasser comme d’une vieille peau – la belle Claire, une vieille peau, horrible dilemme!»

Le récit évoluant, on accède, dans un deuxième temps, au récit de l’agrégée-écrivaine qu’est Claire, l’autre Claire, comme si à travers la fiction il avait été chose possible qu’elle côtoie Chris. Puis le roman se clôture, dans un troisième temps, avec le témoignage de l’ex-mari de Claire, Paul Millecam, achevant de décider du sort de la Claire internée.

Intentionnellement, certains détails-clés ont été extirpés du résumé de l’histoire afin d’éviter de trop vous en révéler, puisque le récit réussit, par une construction narrative habile, à nous emmener dans des directions auxquelles on ne s’attend pas. Camille Laurens, avec Celle que vous croyez, aborde la thématique de l’amour à l’ère 2.0, tout en lançant le fouet ici et là pour marquer au rouge des sous-thèmes qui la rendent malade, notamment la difficile relation homme-femme, le syndrome du rajeunissement-vieillissement, l’amour réel-virtuel à l’ère des réseaux sociaux, et les mensonges que l’on crée à soi-même pour se faire accepter de l’Autre.

Voilà une écriture forte, empreinte de poésie, de mélancolie également, mais pleine de justesse, qui dépoussière de belle façon des citations marquantes de notre littérature, classique et française, et qui porte à réfléchir même bien au-delà de notre séance de lecture.

«Celle que vous croyez» de Camille Laurens, Éditions Gallimard, 29,95 $.

L'avis


de la rédaction

Nos recommandations :

Vos commentaires

Revenir au début