«Dark Net» de Benjamin Percy chez Super 8 Editions – Bible urbaine

LittératurePolars et romans policiers

«Dark Net» de Benjamin Percy chez Super 8 Editions

«Dark Net» de Benjamin Percy chez Super 8 Editions

Prisonniers de l’information en continu

Publié le 12 janvier 2018 par Éric Dumais

Crédit photo : Super 8 Editions

Le roman Hell.com de Patrick Senécal avait fait l’effet d’une bombe à retardement lors de sa parution chez Alire, en 2009. Je me souviens des déboires de Daniel Saul comme si c’était hier, tout comme cette citation d’Arthur Rimbaud, en ouverture, qui donnait le ton à cette nouvelle parution qui s’annonçait glauque à souhait: «Je me crois en Enfer, donc j’y suis». C’est à peu près dans cette ambiance, pas très hop! la vie, que l’auteur américain Benjamin Percy nous plonge avec Dark Net, titre repêché en 2017 du côté de la maison d’édition parisienne Super 8 Editions pour sa traduction française. Si la morale derrière ce techno-thriller est brillante à souhait, on reste toutefois sur notre faim avec une histoire sans queue ni tête qui mène le lecteur vers un timide coup de théâtre.

«La sécurité est une illusion. Nous sommes tous délibérément aveugles face aux menaces qui nous entourent. Aucun endroit n’est sûr. Personne n’est en sécurité…»

Peut-être, justement, qu’Hell.com avait mis la barre haute sur ce mystérieux sujet qu’est le dark web, «celui qui fait plusieurs centaines de fois la taille de l’Internet surfacique, où les informations ne sont pas indexées, et ne peuvent donc pas être recherchées, mais sont légales, pour la plupart, issues de bases de données universitaires, gouvernementales et militaires. Le Dark Net est comme le soubassement du Web profond. Commande de drogue, trafic d’armes, contrebande d’être humains, communications entre terroristes, communications entre espions, délits d’initiés, vol de propriété intellectuelle, snuff movies, death porn et pornographie infantile […] C’est le quartier chaud, c’est la chambre des tortures, c’est l’enfer numérique». Peut-être, aussi, que l’on s’attendait à plus de réalisme de la part de Percy, qui livre ici un roman fantastico-gothique où les ténèbres servent à représenter l’infection qu’est la technologie de l’information de nos jours.

Ainsi, l’histoire, qui nous permet de faire la connaissance d’Hannah, une aveugle qui recouvre la vue grâce à l’Oculus, de Lela, une journaliste aguerrie et avide de sensations pour l’Oregonian dont la curiosité lui coûtera cher, de Mike Juniper, un ex-évangéliste qui a mené bien des gens vers le droit chemin, et de bien d’autres encore, se met tranquillement en place, comme un casse-tête qui prend forme au rythme de son créateur. Sauf que ce sont surtout les intermèdes de l’auteur, rythmés par des réflexions et des données tangibles – comme celle-ci qui porte sérieusement à la réflexion et à son terrible constat: «Un individu moyen regarde son téléphone quatre-vingt-cinq fois par jour. Étant donné que l’on passe probablement la moitié d’une journée à dormir, cela revient à un total de huit fois par heure. Et on ne parle là que des téléphones. À quelle fréquence un visage se tourne-t-il vers une télévision, une tablette, un ordinateur portable, un écran?» –, qui retiennent davantage notre attention, éclipsant la fiction qui peine à réellement nous accrocher.

De fait, le dark net n’est ici que la représentation d’un mal beaucoup plus puissant: l’information en continu. Celle qui défile dans notre fil d’actualité sur Facebook; celle que l’on peut lire à la seconde sur Twitter; celle qui s’immisce de partout, partout.

«Les gens sont désormais suspendus au fil de l’information», peut-on y lire, et plus loin, au fil des pages, Benjamin Percy renchérie, en la comparant même à «un virus. Une infection. [Elle] pénètre dans nos appareils […]. Et nos appareils, c’est nous». Et c’est de cette façon que les personnages de l’histoire deviennent littéralement possédés par le mal.

Bien sûr, tout n’est qu’une question de goûts et de points de vue, mais je retiens de ma lecture, certes pénible dans l’ensemble, que Dark Net est une parfaite représentation de l’intrusion malsaine de l’information qui s’immisce dans tous les interstices lumineux que sont devenus les écrans de nos appareils dans notre quotidien.

Et même si j’ai trouvé cette fiction d’un ennui mortel, il n’en demeure pas moins que l’auteur avait une belle intention au départ.

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