«Écrivain - Histoire d'un métier» avec Juliana Léveillé-Trudel – Bible urbaine

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«Écrivain – Histoire d’un métier» avec Juliana Léveillé-Trudel

«Écrivain – Histoire d’un métier» avec Juliana Léveillé-Trudel

L'appel du premier roman

Publié le 28 février 2018 par Nathalie Billon

Crédit photo : Julie Espinasse

Vouloir écrire un roman peut provoquer un petit vertige. Comment commencer? Comment faire pour être publié? Bref, on s'y prend de quelle manière pour que le précieux document ne pourrisse pas éternellement dans les limbes d'un ordinateur désuet? C'est le défi qu'a relevé Juliana Léveillé-Trudel, lumineuse Montréalaise de 32 ans, coordonnatrice de camp de jour au Nunavik. Le Grand Nord, elle a décidé d'en faire le sujet de son premier récit, Nirliit (qui signifie «oies» en inuktitut). Rencontre avec une auteure habitée par le plaisir de voir son œuvre publiée pour la première fois.

Pourquoi voulais-tu écrire sur le Nord?

«J’avais besoin de partager ça avec d’autres, de le sortir un peu de moi. Aller travailler dans le Nord, ça a été une des plus belles expériences, mais aussi une des plus douloureuses. Tout est grandiose, tout est démesuré là-bas. J’avais accumulé beaucoup de choses et j’avais besoin de les sortir et d’offrir un contrepoids aux préjugés contre le Nord.»

«Et puis la femme disparue qui a inspiré le personnage d’Eva, c’est une vraie personne. C’est une femme que j’aimais beaucoup. C’est une chose de voir des statistiques, d’entendre parler des femmes autochtones qui sont tuées ou disparues, mais quand tu en connais une personnellement, tu fais: «Ohhh…!» Quand c’est arrivé, je me suis dit: «OK, ça va être ça mon point de départ». C’est à ce moment-là que j’ai plus sérieusement commencé à écrire. Ça a été mon déclic.»

Comment as-tu amorcé l’écriture de ton roman?

«Avant même d’écrire Nirliit, j’ai demandé à un ami auteur de me donner un cours d’édition pour les nuls, parce que je ne savais pas comment ça marchait. Il m’a expliqué comment chercher la maison d’édition qui me convenait, et faire lire ce que tu écris par un lecteur d’expérience avant d’envoyer ton manuscrit. C’est vraiment une bonne chose parce que, des fois, tu ne sais pas si ça vaut quelque chose, si ça se tient, si c’est du solide. Le regard extérieur permet d’être cohérent, par exemple, le lecteur va te le dire si la narration de ce bout-là est moins claire.»

«J’ai aussi participé à un parrainage organisé par UNEQ (Union des écrivaines et écrivains québécois). C’est un programme qui revient chaque année. Il y a un appel de texte et tu peux soumettre n’importe quels types de manuscrits. Si tu es choisi, tu es jumelé avec un écrivain d’expérience qui fait le type d’écriture que tu fais. Ça dure quatre mois. Tu lui fais lire ton manuscrit et ton mentor le commente et t’aide. Moi, ça a changé ma vie.»

«Je crois vraiment beaucoup au mentorat, c’est quelque chose qui peut faire la différence en un manuscrit qui se transforme en livre ou quelque chose qui ne sortira jamais de ton tiroir.»

Quelle était ton expérience d’écriture avant Nirliit?

«J’ai écrit deux pièces de théâtre, pour les Contes urbains et le Festival St-Ambroise Fringe et j’ai eu deux blogues, dont un qui s’appelle Garder le Nord, qui parle de mes expériences au Nunavik, et un autre qui parle de mon voyage en Haïti, qui s’appelle Timoun yo Ayiti.»

Pourquoi un roman au lieu d’un essai ou un reportage?

«Un roman, c’est la liberté. La liberté de ne pas prétendre que je raconte une vraie vie. La réalité qui m’entoure me nourrit, ça m’inspire, mais je ne veux pas avoir à m’y coller.»

«Si je me reconnais un talent, je dirais que c’est peut-être celui d’aller chercher ce qui mérite d’être raconté. Généralement, je suis inspirée par des choses concrètes. La première partie de mon livre est mélangée. C’est beaucoup inspiré de choses que j’ai vécues ou qu’on m’a racontées.»

«La deuxième partie de Nirliit est complètement fictive. J’ai vraiment stressé quand je l’ai commencée; il fallait que j’invente. J’étais vraiment comme une enfant qui apprend à nager. J’ai appris à lâcher le bord et j’ai commencé à trouver ça le fun. Tu vas dans la direction que tu veux.»

Est-ce que ta vie a changé depuis la sortie de Nirliit?

«Oui. J’ai la chance de pouvoir me consacrer à l’écriture parce que j’ai eu deux bourses du Conseil des arts et des lettres du Canada. La première pour une résidence dans une bibliothèque de Montréal, la deuxième pour la rédaction de mon deuxième livre. Comme je ne suis pas dépensière, je n’ai pas à m’inquiéter. Mais sans les bourses, ce serait très difficile d’arriver.»

Te considères-tu comme une écrivaine?

«Euh, oui. C’est dur à assumer au début, mais on dirait qu’un coup que tu es publié, tu te dis «Bon, OK, j’ai publié un roman». Je suis contente parce que maintenant, quand on me demande ce que je fais dans la vie, je dis ça. Avant, c’était toujours compliqué d’expliquer ce que je faisais dans la vie. Je ne pouvais pas juste répondre, je devais toujours expliquer mes projets. Mais je pense que tu as toujours deux CV. Ton CV artistique et ton CV de travail.»

«Des fois, on chiale parce qu’on est obligé de faire autre chose pour gagner notre vie, mais je pense que pour un écrivain, c’est bon de faire d’autres choses. Ça nourrit ton écriture.»

Qu’est-ce que tu ressens maintenant que tu as terminé ton roman?

«Une grande fierté. Aussi une espèce de petit deuil. Il vit sa vie sans moi, il faut que je le laisse aller…»

«L’une des très belles choses qui arrivent quand tu écris un roman, c’est que ça devient un laissez-passer pour entrer dans le cœur des gens. C’est un grand privilège.»

Surveillez notre prochaine chronique «Écrivain – Histoire d’un métier» le mois prochain avec Sophie Bienvenu et la peur du deuxième roman. Pour découvrir nos précédentes entrevues, consultez le labibleurbaine.com/Histoire+dun+metier.

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