«Khalil» de Yasmina Khadra aux éditions Julliard – Bible urbaine

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«Khalil» de Yasmina Khadra aux éditions Julliard

«Khalil» de Yasmina Khadra aux éditions Julliard

Une plongée à vos risques et périls dans la tête d’un kamikaze

Publié le 25 octobre 2018 par Éric Dumais

Crédit photo : Éditions Julliard et www.algerie360.com (photo de l'auteur)

Mon premier réflexe lorsque j’ai lu le quatrième de couverture du plus récent roman de Yasmina Khadra – un auteur avec lequel je viens de renouer depuis L’Attentat (2005), ç’a été de me questionner sur les raisons profondes ayant poussé ce génie derrière Les Hirondelles de Kaboul et Les Sirènes de Bagdad à s’immiscer dans la tête de l’un des kamikazes qui étaient présents le vendredi 13 novembre 2015 au Stade de France. Mais pourquoi nous offrir une plongée dans l’esprit d’un kamikaze alors que le terrorisme a secoué la planète entière et continue d’y semer la terreur?

Je me posais sérieusement la question avant d’ouvrir ce livre. Yasmina Khadra a su m’offrir la réponse, mais pas avec ce roman paru chez Julliard. Il a fallu que je creuse la question sur le web pour mieux comprendre ses motivations. Et je suis tombé sur quelques entretiens fort pertinents qui m’ont fait comprendre les motivations de celui qui a toujours parlé de terrorisme, au fond.

Mais on dirait que, depuis les attentats qui ont secoué l’ouest de l’Europe, et en particulier cette pauvre France, j’étais resté sur un signal d’alerte rouge, comme s’il était inconcevable qu’un auteur surfe sur des actes aussi tragiques et égoïstes comme l’ont été les attentats perpétrés par l’État islamiste.

«Il faut échapper à cette psychose qui fait croire que tout est perdu», a lancé l’auteur de plus de vingt-cinq romans lors de l’émission française La grande librairie, diffusée le 13 septembre dernier. Et on dirait que cette simple phrase m’a fait réaliser qu’on s’était toujours remis sur pied au lendemain d’une tragédie. Et Yasmina Khadra n’en est pas à ses premières armes avec le terrorisme; il en a fait son sujet de prédilection au tournant de l’année 2000 avec sa trilogie, certes remarquable, autour du conflit opposant l’Orient de l’Occident.

Dès le point de départ de Khalil, on comprend qu’on entre dans une zone d’inconfort, puisque nous sommes en voiture avec quatre kamikazes et que l’un d’entre eux – Khalil, que nous serons forcés de côtoyer durant les 260 pages du récit – prête sa voix au «je», histoire d’établir un contact intime avec nous, le lecteur. Khadra a choisi une narration omnisciente pour que son protagoniste, si on peut l’appeler ainsi, soit en contact direct avec nous.

Et l’effet est saisissant. C’est ainsi qu’on apprivoisera les motivations profondes pouvant pousser un simple mortel à se donner la mort d’une façon aussi tragique, une ceinture d’explosifs rattachée à la taille. Comme témoin voyeur, nous sommes aux premières loges des difficultés que Khalil a vécues dans son enfance – un père coléreux ayant tôt fait de renier son fils, une mère soumise ne pouvant échapper à l’autorité patriarcale, une grande sœur détestant son frère aîné pour ce qu’il est devenu, et une petite sœur ayant péri dans un attentat. Ce foyer familial instable l’a donc conduit, par la force des choses, à trouver refuge auprès de modèles d’autorité qui ne sont pas nécessairement recommandables…

«Un terroriste, c’est quelqu’un qui a un problème sous le toit parental. Parce qu’il n’a pas trouvé une respectabilité, une autorité dans sa maison à lui, parce qu’il n’a pas réussi à avoir le père qu’il espérait avoir ou la mère qu’il espérait avoir, donc il va chercher sa famille ailleurs», soutient Yasmina Khadra lors de cette même entrevue accordée à La grande librairie.

Parmi les grandes qualités de ce livre, soulignons sans gêne le style froid et incisif du phrasé de l’auteur, le format court du roman, qui nous évite toute longueur malvenue, et inévitablement sa fin ouverte, quoique suggestive, qui nous laisse deviner le pire pour l’avenir de Khalil.

Ce n’est certainement pas une lecture joyeuse, vous vous en doutez, mais après coup, et après avoir compris la motivation profonde de Khadra, celle d’explorer la nature humaine jusque dans ses pires retranchements, j’ai réussi à trouver le courage de lui pardonner cette incursion périlleuse dans l’esprit tordu d’un kamikaze.

Ne vous gênez pas pour me partager vos impressions de lecture!

«Khalil» de Yasmina Khadra, Éditions Julliard, parution août 2018, 264 pages, 29,95 $.

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