«L'entrevue éclair avec...» David Ménard, poète au regard pénétrant – Bible urbaine

LittératureL'entrevue éclair avec

«L’entrevue éclair avec…» David Ménard, poète au regard pénétrant

«L’entrevue éclair avec…» David Ménard, poète au regard pénétrant

À la découverte des finalistes du Prix littéraire Trillium en Ontario

Publié le 28 mai 2019 par Éric Dumais

Crédit photo : Sylvain Sabatier

Durant trois semaines consécutives, Bible urbaine présente une série d’entrevues éclairs ayant pour but de faire découvrir trois auteurs finalistes aux Prix littéraire Trillium, récompenses les plus prestigieuses en Ontario. On poursuit cette série découverte, destinée à nos mordus de romans et poésie, avec David Ménard, un auteur et poète qui se questionne sur la vie et ses travers, l'amour et le désir, le vide et le sens, le tout avec une plume riche en images évocatrices.

David, à quel moment as-tu été frappé par cet éclair de lucidité qui t’a fait réaliser que l’écriture allait devenir ta grande passion dans la vie?

«J’étais très jeune. J’avais l’âge de huit ans. Ma grand-mère maternelle écrivait énormément. Elle avait été autrefois institutrice dans une école de rang et je crois que l’enseignement lui manquait. Elle s’est donc rabattue sur l’écriture. Elle tenait un carnet de bord dans lequel elle écrivait tous les jours et elle entretenait de nombreuses correspondances.»

«Ma grand-mère et moi avons longuement correspondu. Je crois qu’on préférait la correspondance au téléphone. Je voulais faire comme elle; je voulais être comme elle. Tous les deux, nous partagions un handicap: nous avions chacun un problème d’élocution. Je suis bègue et ma grand-mère a dû réapprendre l’usage de la parole après un accouchement très difficile dans les années 1950 qui l’a presque tuée.»

«Pour moi, l’écriture n’est pas seulement une grande passion, mais un exutoire, une nécessité. Elle me disait: Ce que tu ne peux dire, écris-le. C’est ce qu’elle faisait, elle aussi. Alors, j’ai écrit.»

Après un premier roman sous la forme épistolaire, Nous aurons vécu nous non plus, tu as publié trois recueils de poésie aux Éditions L’interligne. La poésie est-elle devenue ton canal de création de prédilection? Et pourquoi?

«Je crois que oui. Je n’ai pas choisi la poésie, je crois que c’est plutôt elle qui m’a choisi. Même mon premier roman est très poétique. La poésie est le genre de l’intériorité, du monologue intérieur. Elle permet d’aller rapidement au fond des choses. C’est aussi, selon moi, le genre qui permet le plus de liberté.»

Le 3 octobre dernier, tu publiais ton plus récent recueil, Poupée de rouille, aux Éditions L’interligne. Avec ce dernier, tu démontres une fascination pour les mal-aimés de l’Histoire avec un grand H, en ressuscitant Marie-Josephte Corriveau, dite «la Corriveau», l’une des figures populaires du folklore canadien, qui attend désespérément la mort du fond de son cachot. Pourquoi t’es-tu intéressé à elle et pourquoi avoir raconté son destin en poésie?

«Il y a longtemps que je suis fasciné par la Corriveau. J’ai vu, à l’âge de onze ans, sur les ondes de Radio-Canada, La Corrivaux, une dramatique télévisuelle réalisée par Jean Salvy d’après la pièce de Guy Cloutier, avec Anne Dorval dans le rôle-titre. C’est à ce moment-là que j’ai découvert la Corriveau et que j’ai été marqué par elle (c’était aussi la première fois que je voyais Anne Dorval faire autre chose que Lola dans Chambres en ville, haha!) J’ai voulu, moi aussi, raconter son histoire, à ma façon.»

«J’avais envie de revisiter l’histoire de la Corriveau, personnage mythique dont le destin est tout à fait inspirant et troublant. J’ai toujours voulu élucider la part de mystère qui planait sur cette femme que l’on traitait de sorcière. Je me suis aussi intéressé à elle parce que j’ai une propension à aimer les antagonistes, les vilains ou les laissés-pour-compte de l’histoire, vouloir à les chérir, à leur redonner leurs lettres de noblesse et à les rendre plus humains, plus aimables.»

«De plus, ce qui est arrivé à la Corriveau n’est pas clair. Les récits, les histoires et les légendes sont nombreux. L’issue du destin de cette femme demeure flou. Elle est tantôt perçue comme une femme méchante, et tantôt vue comme une femme mal mariée et une victime. On a dit d’elle qu’elle était une empoisonneuse professionnelle et qu’elle aurait tué son premier mari. On en a fait l’équivalent féminin de Barbe bleue en disant qu’elle aurait eu sept maris et qu’elle les aurait tous assassinés. On a aussi dit qu’elle aurait coulé du plomb dans l’oreille de ses maris, qu’elle aurait vendu son âme au diable, et qu’elle hante les lieux de sa mort. Elle pourchasserait plus particulièrement les hommes qui rentrent saouls, tard la nuit.»

«Plusieurs artistes comme Anne Hébert, le groupe Mes Aïeux et Victor Levy Beaulieu, ont revisité et réinventé son histoire. Pour ma part, j’ai voulu dresser le portrait d’une Corriveau aimante, amoureuse et complètement passionnée. C’est une femme cherchant l’absolu de l’amour. Malgré son crime, je dépeins la Corriveau comme une femme humaine, bienveillante. Mon livre offre une autre explication concernant ce qui aurait pu lui arriver, une histoire d’amour tragique, percutante et torride.»

Entrevue-éclair-David-Ménard-Poupée-de-rouille

De quelle façon ce plus récent recueil de poésie, dont la forme oscille entre le roman et la poésie en prose, se démarque-t-il des précédents?

«Comparativement à mes deux premières œuvres, Le ciel à gagner, L’autre ciel et Poupée de rouille comprennent davantage d’éléments du conte. Il y a un schéma narratif dans lequel il y a une situation initiale, un élément perturbateur, des péripéties, un point culminant et un dénouement.»

«Comme je le disais un peu plus tôt, la poésie permet de prendre ce genre de liberté, de créer l’hybridité et d’incorporer des éléments d’autres genres littéraires. J’aime la poésie et j’aime les contes. Je me suis dit: Pourquoi ne pas jumeler ces deux genres? Je crois que chez chaque lecteur il y a un enfant qui aime se faire raconter des histoires. Ça plaît à notre sensibilité littéraire.»

On a été très heureux d’apprendre que tu es en lice pour le Prix littéraire Trillium, qui vise à récompenser les écrivaines et écrivains francophones de l’Ontario et leurs éditeurs. Bravo! Comment as-tu accueilli la nouvelle et qu’est-ce que cette belle reconnaissance va t’apporter pour les années à venir?

«Je suis très honoré et très touché. Cela veut dire que mon recueil a su plaire. Le travail d’écriture est souvent solitaire. C’est comme si l’on projetait notre monologue intérieur dans le désert et les montagnes.»

«Avec cette belle nomination, c’est comme si on me disait qu’on a aimé ce que j’ai écrit; c’est comme une sorte de retour du balancier, pour renvoyer l’écho de celui qui écrit seul dans le noir. Cette reconnaissance, c’est une belle tape dans le dos pour me dire good job, et c’est un bel encouragement pour continuer à écrire.»

En guise de mot de la fin, peux-tu nous dire quels sont les défis d’écrire en français en Ontario, une province majoritairement anglophone, et d’y trouver son public, son cercle de fans?

«La poésie, c’est comme la musique classique. Ce n’est pas pour tout le monde. Je ne pense pas que la poésie a des fans. Elle a plutôt des disciples qui ont reçu l’appel, qui ont une sensibilité accrue. Ces disciples sont partout et ils savent trouver la poésie, qu’elle soit en Ontario ou ailleurs. Je crois qu’il y aura toujours des gens qui aimeront la musique classique, comme la poésie aura toujours des adeptes.»

«Cela dit, je crois que d’écrire et de publier en français en Ontario sont en soi des actes de résistance. Mais j’écris surtout pour moi et pour tendre la main à ceux qui me lisent, pour qu’ils se sentent moins seuls.»

«Le vrai défi, c’est sans doute le manque de temps. La plupart des écrivains (comme moi) doivent mener deux carrières de front pour pouvoir joindre les deux bouts. Peu d’entre eux vivent de leur écriture. Il est difficile, après une longue journée de travail, de trouver le temps et l’énergie pour se consacrer à ses projets de création. Mais on y arrive pareil, car on a le feu sacré! No rest for the wicked!»

La semaine prochaine, on vous invite à découvrir l’auteur Gilles Latour, qui a publié le recueil À la merci de l’étoile dans la collection «Fugues» aux Éditions L’interligne en mai 2018! Vous ne connaissez toujours pas Diya Lim, l’auteure jeunesse? Il est toujours temps d’y remédier: labibleurbaine.com/lentrevue-eclair-avec-diya-lim.

*Cet article a été produit en collaboration avec Les Éditions L’interligne.

Nos recommandations :

Vos commentaires

Revenir au début