«Nous méritons mieux: repenser les médias au Québec» de Marie-France Bazzo – Bible urbaine

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«Nous méritons mieux: repenser les médias au Québec» de Marie-France Bazzo

«Nous méritons mieux: repenser les médias au Québec» de Marie-France Bazzo

Cri du coeur d'une ex-animatrice qui a vu les médias québécois changer à vue d'oeil

Publié le 3 décembre 2020 par Olivier Du Ruisseau

Crédit photo : Tous droits réservés @ Les Éditions du Boréal

La sociologue, productrice et animatrice de télévision et de radio Marie-France Bazzo ne mâche pas ses mots: nous méritons mieux, nous sommes en crise. On entend des discours similaires depuis déjà bien longtemps quant à l'état des médias au Québec et ailleurs. L'argumentaire de son livre, sorti en novembre dernier, se distingue toutefois en ce qu'il rend compte de l'expérience personnelle de l'autrice dans les médias pour justifier son point de vue, et qu'il inscrit ses hypothèses dans le contexte particulier de la pandémie et de l'avenir qu'elle nous réserve. Retour sur un texte sans compromis qui, bien que critique, demeure résolument tourné vers l'avenir.

Les médias québécois vus de l’intérieur

L’essai de Bazzo allie son regard de sociologue à son expérience de productrice et d’animatrice pour définir ce qui constitue, selon elle, la crise des médias au Québec. Elle assume d’ailleurs que ce livre «n’enrichira pas sa banque d’amis dans le milieu (des médias)», parce qu’elle critique les fondements d’un système qu’elle a alimenté pendant des années.

D’entrée de jeu, l’autrice attaque avec une anecdote efficace. Elle raconte le sentiment de vide et la douleur qu’elle a ressentis après avoir appris qu’on mettait un terme, du jour au lendemain, à son contrat d’animatrice à la barre de C’est pas trop tôt, une émission matinale de grande écoute à Radio-Canada.

Elle affirme que ce recul forcé et prématuré aura été la parfaite occasion de mettre sur papier des inquiétudes qu’elle ressentait à l’égard des médias québécois depuis longtemps. En outre, sans  insinuer que son congédiement a été symptomatique de la crise qu’elle passe la majeure partie de son essai à décrire, elle maintient qu’il s’inscrit quand même dans un «changement de game», comme elle le dit, dans son milieu.

Polarisation et nivellement par le bas à l’ère du désamour

Bien que, et j’y reviendrai plus loin, l’essai de Bazzo demeure tourné vers l’avenir en ce qu’il propose des solutions à la crise dont elle fait état, le ton général de son texte demeure profondément critique. Elle sonne l’alarme judicieusement.

Bazzo décrit plusieurs enjeux que nous connaissons assez bien aujourd’hui. Elle s’attaque entre autres à la polarisation politique grandissante des médias de la Belle Province et au manque de confiance que les Québécois ressentent envers leurs grands médias traditionnels. Tout cela serait dû, on s’en doute, à la montée en puissance du journalisme citoyen à l’ère des réseaux sociaux, à l’émergence des notions de post-vérité et des fausses nouvelles, et à la sensibilité grandissante de la population à l’égard des enjeux de représentation dans les médias. Bien qu’elle décrit tout cela de manière très directe et lucide, on a une certaine impression de déjà-vu devant ces points de vue. On dirait qu’on en parle partout, depuis longtemps.

L’autrice théorise toutefois certains concepts inédits et fait des liens surprenants, voire désarmants. Elle se sert aussi de son expérience d’animatrice pour expliquer comment les réalités qu’elle décrit ont pu évoluer avec les années. Cette perspective est pour le moins rafraîchissante.

Ainsi, la partie la plus captivante du texte de Bazzo est probablement celle où elle dénonce le nivellement par le bas, voire le mépris qu’exercent malheureusement certains médias envers ceux qu’elle appelle #lesgens. Frileux d’offrir du contenu trop intellectuel et pris dans le piège de la rentabilité, les médias traditionnels, tout particulièrement à la télévision, priveraient selon elle la population d’un immense potentiel d’apprentissage et de découvertes.

Pour décrire, avec regret, comment les médias perçoivent trop souvent leur public, elle écrit: «Les GENS, c’est un moyen de travestir la réalité, de créer une apparence de communauté alors qu’aujourd’hui les identités se vivent en silo et souvent s’excluent mutuellement. Surtout, ce qui agace avec les GENS, c’est la passivité à laquelle on les associe, inconsciemment ou non. Des électeurs, des citoyens, des consommateurs, ça agit, ça prend des décisions. Ça a une prise sur la société. Les GENS sont plutôt un troupeau dont il faut vaguement se soucier, qu’il faut flatter régulièrement. Rien de très dynamique.» 

Marie-France Bazzo, par Philippe-Oliver Contant

Ce mécanisme insidieux s’effectuerait aussi en parallèle du désamour grandissant qu’éprouverait la population québécoise à l’égard de ses médias. Mis à part les causes habituelles que j’ai évoquées plus tôt, elle affirme aussi que ce désamour serait dû à un fossé idéologique entre les médias québécois et leur public.

Surprenante critique du consensus médiatique woke de gauche

En effet, Bazzo surprend, et elle l’assume. Alors qu’elle animait Bazzo TV à Télé-Québec, on la croyait l’incarnation parfaite de la clique du plateau. Elle ne cachait pas son penchant pour les idées de gauche. Elle invitait cependant toute une brochette d’intellectuels diversifiée, encourageant la pluralité des idées et la rigueur avant tout. 

Aujourd’hui, elle regrette ce climat de débat qui semble avoir disparu, selon elle, du moins à la télévision. Elle surprend parce que, même si on la sait de gauche, elle critique aussi la jeune gauche d’aujourd’hui. Elle l’accuse de se désintéresser de la rigueur intellectuelle et de la culture du débat, et elle accuse les médias québécois d’adopter ses idées aveuglement.

Plus encore, Bazzo critique la gauche bien-pensante, diversitaire et woke à la lumière de très récents évènements. Elle déplore notamment à quel point certaines idées des mouvements antiracistes de gauche, pourtant marginaux, ont pris une place presque hégémonique dans les médias québécois. La couverture médiatique de SLĀV et la censure de Nègres blancs d’Amérique Pierre Vallières en sont, à son avis, d’éloquents exemples.

L’actualité et l’urgence de ces thèmes sont claires. Quoi que l’on pense de ces questions, l’autrice demeure convaincante lorsqu’elle affirme qu’elles exigent davantage de nuances et de contexte dans nos médias.

Se tourner vers des solutions

Alors qu’elle se fait plutôt critique du «consensus» de gauche des médias québécois, Bazzo surprend encore en affirmant que c’est, paradoxalement, de la diversité dont ils ont plus besoin. En bonne journaliste, l’autrice est à la fois critique de la nature écrasante de certaines idéologies, tout en essayant autant que possible d’effacer les siennes pour faire l’éloge de la diversité. Il s’agit ici d’encourager la diversité d’opinions, d’appartenances politiques, d’appartenances nationales et ethniques, de genres, etc.

Cela serait trop facile de ne voir que du cynisme dans l’essai. L’autrice conclut d’ailleurs en insistant sur l’urgence de se servir des nouveaux médias à notre disposition et des possibilités rassembleuses du web pour faire valoir un nouveau modèle. Elle aspire à des médias québécois qui soient à la fois rassembleurs et diversifiés (plutôt, peut-être, que diversitaires), qui puissent à la fois s’adapter aux réalités changeantes des nouvelles technologies et s’inspirer de la culture des débats de l’ère de Bazzo TV, par exemple.

Certes, on a parfois l’impression d’une synthèse d’opinions déjà consensuelles et maintes fois répétées lorsqu’on lit Bazzo sur la «crise» des médias. Toutefois, le style de l’autrice, simple mais rigoureux, souvent humoristique et punché, demeure charmant et efficace. Le livre se lit bien et incite à des réflexions très pertinentes. Il se présente aussi comme une lucide introduction au monde des médias pour les néophytes.

Ainsi, même si c’est dommage que Marie-France Bazzo ait presque complètement disparue de nos ondes, on apprécie grandement son retour littéraire.

Nous méritons mieux: repenser les médias au Québec de Marie-France Bazzo, Les Éditions du Boréal, novembre 2020, 216 pages, 19,95 $. Et vous, qu’est-ce que vous lisez en ce moment? Pour lire toutes nos critiques de livres, rendez-vous ici.

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