«A Moon Shaped Pool» de Radiohead – Bible urbaine

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«A Moon Shaped Pool» de Radiohead

«A Moon Shaped Pool» de Radiohead

Le déclin attendra

Publié le 17 mai 2016 par Mathieu St-Hilaire

Crédit photo : XL Recordings

Lorsque Radiohead a fait paraître The King Of Limbs il y a cinq ans, je fus de ceux qui étaient demeurés un peu froids devant l’album. Ma déception était considérable: Radiohead ne m’avait jamais laissé tomber depuis The Bends, en 1995, soit en plus de quinze ans. L’annonce d’un nouvel album et d’une tournée en début d’année 2016 me laissait donc un peu sur mes gardes. Le quintette d’Oxford pouvait-il retourner en force ou bien allait-il continuer de démontrer un déclin inévitable pour une multitude de groupes qui œuvrent depuis de nombreuses années? Les sacro-saints Radiohead peuvent-ils devenir ordinaires? La réponse est plutôt claire: pas pour le moment.

Fidèle à son habitude, le groupe a su déstabiliser Internet au grand complet avec une sortie hâtive de leur neuvième long-jeu. Car Radiohead maîtrise non seulement l’art musical, mais aussi l’art de prendre les internautes par surprise. Cette fois-ci, le groupe s’est même retiré temporairement des réseaux sociaux dans un coup de marketing exceptionnel. Et lorsque l’album apparut sous sa forme numérisée dimanche dernier, les chansons étaient curieusement classées en ordre alphabétique (finalement, il s’agit vraiment du bon ordre séquentiel des chansons). Bref, le terrain était minutieusement préparé et, franchement, A Moon Shaped Pool est à la hauteur des attentes.

Avec ses cascades d’arrangements de cordes, «Burn the Witch» est juste assez astucieusement affinée pour figurer dans l’arsenal de pointe du légendaire groupe. Tout y est impeccable, de la voix somptueuse de Thom Yorke, à la vidéo accompagnant la pièce. Le deuxième extrait, «Daydreaming», plonge dans des sonorités plus connues pour Radiohead, rappelant la mélodie magistrale de «Pyramid Song» sur l’excellent Amnesiac (2001). «The damage is done», répète Yorke. Le ton est donné: A Moon Shaped Pool sera d’une élégante mélancolie.

Radiohead

La patience est toujours de mise avec Radiohead et cet album ne fait pas exception à la règle. Après quelques écoutes, les orchestrations s’incrustent lentement et organiquement en nous. L’ambiance est volontairement nocturne, reflétant sans doute l’état d’esprit de Thom Yorke suite à sa récente rupture. L’effet créé est un curieux mélange de déprimant-réconfortant, ce qui a toujours été un mariage réussi lors de la quasi-totalité de la carrière de la bande d’Oxford. «I miss the confort in being sad», chantait Kurt Cobain. Semble-t-il que Radiohead se spécialise dans l’art de rendre le triste, beau.

Tel que mentionné ci-haut, les instrumentations sur A Moon Shaped Pool sont extrêmement organiques. Prenez «Desert Island Disk» par exemple, et vous y entendrez du Nick Drake, géant du folk intimiste sombre-mais-magnifique. «Glass Eyes» dresse la même ambiance: on dirait une scène de film en noir et blanc où la nuit tombe lentement. La pièce est absolument magnifique.

S’il existe un bémol à propos de l’album, c’est probablement son léger manque de dynamisme qui semble affecter sa deuxième moitié, surtout sur «Tinker Tailor Soldier Sailor Rich Man Poor Man Beggar Man Thief», qui ne lève pas vraiment et qui aurait pu être laissée de côté. Par contre, la finale, «True Love Waits», que le groupe jouait déjà lors de la tournée d’OK Computer, en 1998, et qui était seulement parue en version live, est complètement revampée et réarrangée, laissant une atmosphère onirique pour clore l’album de brillante façon. Ce n’est pas la première fois que Radiohead revisite et actualise une vieille composition (pensons à «Nude» sur In Rainbows en 2007) et à chaque fois le groupe relève le défi avec brio.

Alors voilà une réponse apaisante aux interrogations du départ: Radiohead a toujours sa place parmi les meilleurs en 2016. Sans être leur meilleur album, A Moon Shaped Pool nous souffle tranquillement ses mélodies aux oreilles et fait tranquillement son chemin, notamment dû à la réalisation du «sixième membre» Nigel Godrich et du génie créatif de Jonny Greenwood.

À écouter en contemplant la lune.

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