«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire de «Pinkerton» de Weezer – Bible urbaine

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«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire de «Pinkerton» de Weezer

«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire de «Pinkerton» de Weezer

La grande réclusion de Rivers Cuomo

Publié le 15 septembre 2016 par Mathieu St-Hilaire

Crédit photo : Peter Orth

C’est un secret de polichinelle: plusieurs gars forment des groupes de musique dans l’optique de plaire aux filles. Rien de tel qu’une guitare, un micro et du succès pour faire le plein du réservoir de l’estime de soi masculin face au sexe opposé. On aurait pu penser qu’après un premier album (le mythique album bleu) triple platine, une tournée mondiale et des accolades des critiques, Rivers Cuomo de Weezer se serait retrouvé au sommet de la pyramide de l’assurance. Hélas, non. Alors que les attentes du deuxième album de Weezer montent en flèche, Cuomo, lui, a déjà amorcé sa descente aux enfers. Le deuxième album du groupe de Los Angeles, Pinkerton, arrive finalement en septembre 1996 et nombreux sont ceux qui affirment qu’il s’agit ni plus ni moins d’un suicide commercial.

Pourquoi faire une chronique sur un disque dont les ventes ont été catastrophiques? Parce qu’il faut du temps avant de juger de la valeur historique d’un album. Et le temps a été incontestablement favorable à Pinkerton, qui est devenu un des albums cultes les plus adorés des vingt dernières années. La raison est toute simple: les chansons sur Pinkerton sont exceptionnelles. Et elles ont aussi cette rare caractéristique, à savoir que leur impact s’est grandement accentué avec les années.

Évidemment, tout le monde sait que la réputation de Weezer, montée de toute pièce à partir du look de Cuomo et de Weezer – Blue Album, est celle d’un groupe nerd rock, soit de quatre geeks écrivant des chansons mélodieuses mais très légères, avec des vidéos loufoques et ô combien divertissants. Les gens se rappellent de «Buddy Holly» ou de «Undone (The Sweater Song)», des bijoux de pop music qui rendent tout le monde instantanément de bonne humeur. Sauf que sur le premier album, on retrouvait aussi «Say It Ain’t So», avec des paroles déchirantes relatant une relation destructrice père-fils. C’est «Say It Ain’t So» qui prépare le terrain pour Pinkerton.

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La première pièce laisse complètement perplexe et largement confus. En effet, «Tired of Sex» est musicalement plus retentissante et «bombastique» que n’importe quelle chanson du premier album. Et de loin. Les guitares nous scient les jambes en deux et l’image de Weezer est envoyée aux oubliettes en un rien de temps. Sauf que, attendez un instant, est-ce que Rivers Cuomo est vraiment en train de se plaindre de ses trop nombreuses escapades nocturnes que lui apporte sa vie de rockstar? Non mais quel culot! C’est une blague, pas vrai? Pas du tout. Le Rivers Cuomo que l’on entend sur la chanson, et sur les neuf qui vont suivre, est un Rivers Cuomo défait et au bord du gouffre.

«El Scorcho» était le tout premier extrait de Pinkerton et, avec le recul, il est tout de même facile de voir pourquoi l’album n’a rien cassé sur les palmarès. La chanson est un pastiche bizarroïde de leur succès «Undone (The Sweater Song)» où Cuomo se livre sur ses fantasmes sur les filles japonaises (il en épousera d’ailleurs une des années plus tard). De faire suite à un album blockbuster avec une chanson aussi étrange était définitivement tout un risque. Parions que Cuomo et sa bande savaient (et voulaient) que la chanson ne remporte pas le même succès que leurs extraits précédents.

Pinkerton arrive également à une époque où la musique rock-grunge, qui a dominé la première partie des années 1990, commence à s’essouffler. Au moment de la sortie de l’album, les palmarès américains sont garnis de Toni Braxton, BlackStreet et, malheureusement, La Macarena. Cuomo ne s’aide probablement pas en livrant un album inspiré de l’opéra italien Madame Butterfly, qui raconte l’histoire d’une Japonaise de 15 ans qui tombe en amour avec un lieutenant américain, Pinkerton, qui fini par lui briser le cœur. La jeune fille se donne la mort à la suite de cet échec amoureux.

D’ailleurs, le chanteur tourmenté (c’est peu dire) aborde ce thème directement dans la chanson «Across the Sea», qui témoigne d’une correspondance réelle qu’il a entretenue pendant un long moment avec une jeune fan japonaise. Cuomo est visiblement déchiré par la situation: «Why are you so far away from me? / I need help and you’re way across the sea / I could never touch you / I think it would be wrong / I got your letter / You got my song». Le style hyper confessionnal de Rivers Cuomo sur l’album inspirera une multitude de groupes emo des années plus tard.       

En plus d’être amer et en dépression, il faut également noter le côté très introverti de Rivers Cuomo. Cette combinaison non gagnante alimente grandement l’écriture des pièces. Sur la plus qu’excellente «The Good Life», il parle de l’isolement qu’il a vécu suite à une opération qui l’a mis sur le carreau pendant un bon moment. Plus loin, sur «Pink Triangle», il tombe follement en amour avec une fille qui, comble de malchance, est plutôt attirée par les femmes. Chaque pièce est dotée d’une charge émotionnelle à la puissance cube.

Et lorsque Cuomo chante les dernières paroles de «Butterfly», seule pièce acoustique qui ferme l’album, il est évident qu’il nous annonce une réclusion certaine. «I told you I would return / When the robin makes his nest / But I ain’t ever coming back», chante-t-il, avant de conclure en répétant trois fois «I’m sorry», déchiré et bourré de remords. Après Pinkerton, Weezer allait être placé sur les tablettes pendant près de cinq ans, Cuomo s’isolant dans des appartements miteux et retournant à l’école à l’Université de Harvard.

Vingt ans plus tard, il est étonnant de voir que les ventes de Pinkerton frôlent maintenant le million d’exemplaires aux États-Unis seulement, et ce, sans que le groupe ne joue les pièces dans leurs spectacles, Cuomo les jugeant trop personnelles. En fait, il faudra attendre jusqu’en 2010 avant que le groupe ne fasse résonner les chansons de Pinkerton sur scène à nouveau. Bien sûr, l’album Bleu est celui que la plupart des gens citeront en référence, mais Pinkerton est celui qui touchera toujours directement droit au cœur.

Surveillez la prochaine chronique «Les albums sacrés» le 29 septembre 2016.

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