«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire d'«Odelay» de Beck – Bible urbaine

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«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire d’«Odelay» de Beck

«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire d’«Odelay» de Beck

La victoire d'un perdant

Publié le 9 novembre 2016 par Mathieu St-Hilaire

Crédit photo : Martyn Goodacre / Getty Images

En 1994, Beck Hansen lance une chanson qui le rend instantanément célèbre, mais qui, et selon ses dires, est une anomalie complète dans sa carrière. Avec un refrain contenant les lignes «I’m a loser baby / So why don’t you kill me?», Beck réalise en «Loser» l’hymne slacker par excellence, au moment où le grunge marche toujours sur les palmarès. Un coup de chance? Peut-être, d’autant plus que le potentiel du one hit wonder s’avère très grand étant donné que le paysage musical change drastiquement au milieu des années 1990. Beck doit donc user de flair et élargir ses horizons pour donner suite à son méga tube. L’étonnement est très grand lorsqu’il arrive avec son deuxième album officiel, Odelay, qui deviendra un album emblématique de la musique, tant commerciale qu’alternative, de la deuxième moitié des années 1990.

Pour arriver à ses fins, Beck prend une décision qui changera le cours de sa carrière: il fait appel aux Dust Brothers pour la réalisation, eux qui avaient produit le très avant-son-temps Paul’s Boutique des Beastie Boys sept ans plus tôt. Le tandem Beck-Dust Brothers réussit à faire d’Odelay une courtepointe, ou un immense collage, tissée avec des rythmes et des échantillonnages méticuleusement recherchés, tout ça avec une facilité qui paraît déconcertante.

Et l’album apparaît exactement au bon moment, soit à une époque où les styles musicaux commencent à se mélanger et à s’amalgamer dans une ère post-grunge. Avec Odelay, L’auteur-compositeur devient la figure de proue d’un nouvel éclectisme qui touche la culture musicale populaire et underground. Beck agit tel un archiviste: il collectionne les influences de tout genre et les livre à travers un paysage sonore surréel et très cool, même vingt ans plus tard.

Beck, portrait, Amsterdam , Netherlands, 1996. (Photo by Martyn Goodacre/Getty Images)

Beck, portrait, Amsterdam , Netherlands, 1996. (Photo by Martyn Goodacre/Getty Images)

Dans une année où DJ Shadow livre un autre monument de l’échantillonnage (l’extraordinaire Endtroducing…..), Beck réussit à briser la barrière entre la musique populaire et indépendante.

D’ailleurs, la ligne devient de plus en plus floue entre ces deux univers et des albums comme Odelay sont grandement responsables de cette mutation. Beck mélange tout ce qui semble lui passer par la tête: folk, hip-hop, rock, bossa-nova, électro, country, blues, trip hop, etc. Et ses aventures ne se limitent pas aux genres musicaux, car il emploie également à la fois des techniques de production lo-fi et totalement modernes.

Toute cette curiosité et ce bizounage en studio créent une espèce de cohérence malgré l’incohérence. Les chansons sont construites, déconstruites et finalement reconstruites d’une toute autre façon qu’elles étaient au départ. Un peu comme si l’on décide d’acheter un appareil, de le démonter et de le remonter d’une autre façon, tout en conservant son aspect fonctionnel. Première chanson du disque, «Devil’s Haircut» échantillonne le groupe des années 1960 Them (formation de Van Morrison) et passe au mélangeur blues, rock et hip-hop avec une réalisation genre copier-coller. Les beats rebondissent dans nos oreilles pendant que Beck nous pond des phrases telles: «Something’s wrong cause my mind is fading / Ghetto-blasting disintegrating / Rock n’ roll know what i’m saying / Everywhere I look there’s a devil waiting». Au niveau stylistique, c’est redoutable.

En tant que premier extrait de l’album, «Where It’s At» avait déjà mis la puce à l’oreille sur ce qui allait suivre. Construite autour d’échantillonnages obscurs, la pièce est la toute première à jouer  sur MTV2, deuxième chaîne de la célèbre station qui désirait à l’époque offrir une option à contenu cent pour cent musical à une partie de son public plus averti. Avec un échantillonnage vocal de distorsion au refrain («I got two turn-tables and a microphone»), une ligne mélodique on ne peut plus cool, un rythme ultra-funky, un hybride de styles musicaux, des claquements de mains et un robot (!), la pièce a tout ce qu’il faut pour faire basculer la décennie vers la lumière après la noirceur du grunge.

Malgré toute sa complexité sonore, Beck réussit à faire d’Odelay, un album léger à écouter, probablement dû au fait qu’il n’oublie pas ses racines plus folk. «Hotwax» et «Lord Only Knows» sont à la base des chansons qui font très americana, mais elles sont remodelées dans une forme beaucoup plus d’actualité. Les paroles ridiculement absurdes aident à créer une ambiance bienheureuse: «Going back to Houston to do the hot-dog dance / Going back to Houston to get me some pants», lance-t-il à la fin de «Lord Only Knows». «She’s got a paradise camouflage», chante-t-il inexplicablement sur la sublimement divertissante «The New Pollution». D’ailleurs, la vidéo de cette chanson est toujours à voir et à revoir vingt ans plus tard.

Ailleurs, «Novocane» est un amalgame extrêmement étrange (mais oh combien grandiose) de rock, de rap et d’électro. «Jack-Ass» est une ballade folk qui échantillonne «It’s All Over Now, Baby Blue» réinterprétée par Them (l’originale étant de Bob Dylan). «Minus» est une chanson grunge aux allures futuristes. «High 5 (Rock the Catskills)» est probablement la pièce la plus bizarroïde du disque, passant de la bossa-nova au rock et au rap et se concluant avec une finale électro chaotique. Pour terminer le tout, «Ramshackle» vient nous bercer avant de s’endormir de par son ambiance plus calme et mélancolique, annonciatrice des prochaines œuvres de Beck (Mutations  en 1998 et Sea Change  en 2002).

Beck sera récompensé aux Grammy Awards avec deux statuettes, soit meilleur album alternatif et meilleure chanson rock («Where It’s At»). Il sera nommé pour l’album de l’année, mais s’inclinera devant Falling Into You  de Céline Dion. Par contre, le fait qu’un album aussi innovateur et éclaté qu’Odelay soit en nomination pour le long-jeu de l’année se voulait une victoire en soi. Beck suivra deux ans plus tard avec le sous-estimé Mutations, album sublimement posé comparativement à Odelay.

Au final, Beck a rarement été en aussi grande forme créative qu’ici, maîtrisant son côté touche-à-tout avec panache.

Surveillez la prochaine chronique «Les albums sacrés» le 24 novembre 2016. Consultez toutes nos chroniques précédentes au labibleurbaine.com/Les+albums+sacrés.

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