«DAMN.» de Kendrick Lamar – Bible urbaine

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«DAMN.» de Kendrick Lamar

«DAMN.» de Kendrick Lamar

Roi des damnés

Publié le 24 avril 2017 par Mathieu St-Hilaire

Crédit photo : highsnobiety.com

Mise en garde: cette chronique pourrait avoir une connotation un peu négative pour certains. Mais n’allez pas croire que le dernier album de Kendrick Lamar, DAMN., ne vaut pas le détour, car il sera certainement l’un des meilleurs de 2017. Le problème est malheureusement que Kendrick s’est, permettez l’expression, peinturé dans un coin en lançant un album de la trempe de To Pimp a Butterfly il y a deux ans maintenant. Le résultat lorsque l’on fait paraître un album d’une grande profondeur artistique et d’une encore plus grande importance culturelle? Les attentes deviennent disproportionnées, voire démesurées. La même chose est arrivée pour Nirvana à la sortie d’In Utero et pour Radiohead avec Kid A.

Donner suite à un disque iconique fait souvent en sorte que l’artiste se replie sur lui-même et trouve le réconfort à travers un son moins familier et plus explorateur (voir les deux exemples cités plus haut). Le premier extrait du nouveau Kendrick est plutôt l’inverse: «HUMBLE.» accroche immédiatement avec sa ligne mélodique de piano passée en loop et son rythme qui nous bondit dans les oreilles.

Tant musicalement que thématiquement, l’ambiance est plus légère, Lamar rappant à propos de sa suprématie, justifiée, sur ses pairs. Terriblement efficace en tant que single, mais qu’en est-il des propos plus méditatifs et sociaux dont nous a habitué l’artiste de Compton? Ne vous inquiétez pas, à ce niveau, Lamar rend la commande.

À peine deux années séparent To Pimp a Butterfly de DAMN., ce qui pourrait avoir un effet sur la qualité d’écriture, surtout que ces deux années furent relativement mouvementées pour Kendrick Lamar. Pourtant, l’écrivain n’a rien perdu de son inspiration qui fait agiter sa plume, car ses réflexions semblent avoir la même portée que sur ses œuvres précédentes: Dieu, religion, égo, célébrité, isolation, racisme, dénigreurs du hip-hop et j’en passe. Beaucoup.

Que Lamar puisse arriver à écrire des textes aussi riches en aussi peu de temps confirme un génie lyrique difficile à contredire. Il semble qu’à ce niveau, Kendrick ne décevra jamais. Tout ça pourrait représenter un danger, car des gens pourraient facilement voir trop d’éléments à travers les textes, mais sa prose demeure ultra-étoffée. Impressionnant.

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 Là où la rapidité de la conception de DAMN. semble plus manifeste est au niveau musical. Alors que To Pimp a Butterfly était extrêmement dense musicalement, quelques pièces ici auraient peut-être bénéficié de quelques retouches, car les rythmes et sonorités sont moins inspirés et n’ont pas toujours l’impact attendu. Lamar s’inspire de sons plus modernes, ce qui le distingue moins de ses contemporains.

Une des grandes forces de To Pimp a Butterfly résidait dans ses inspirations jazz, funk et soul, qui rehaussaient même les propos de l’auteur, lui donnant un appui historique irréprochable. Ici, des pièces comme «GOD.», «YAH.» et «LOVE.», remarquez les grands thèmes en majuscules, tombent relativement à plat. Plusieurs pièces ont moins d’impact et ne demeurent pas avec nous de la même façon.

Une approche musicale plus simple était sans doute à prévoir, vu l’immensité du prédécesseur. De ce fait, un retour aux sources et une plus grande spontanéité font probablement en sorte que Lamar garde un semblant de santé mentale. Parce que sur DAMN., Kendrick n’a jamais sonné aussi agressif et même dépressif. L’image sur la pochette n’a rien d’un hasard: il n’y a rien de très joyeux à l’intérieur.

À ce niveau, les pièces les plus réussies sont celles où Kendrick est le plus enragé, terrifié ou damné (ou les trois en même temps): «The shock value of my success put bolts in me / All this money, is God playin’ a joke on me? / Is it for the moment, and will he see me as Job? / Take it from me and leave me worse than I was before?», se demande-t-il sur la superbe «FEAR.».

D’autres chansons sont particulièrement réussies. «DNA.», tout nouvel extrait, démontre un Kendrick Lamar au sommet de sa forme, crachant ses lignes avec une arrogance parfaite et une prose incisive. À l’opposé est l’étonnante «PRIDE.», beaucoup plus lente, avec une touche de guitare sournoise qui crée une ambiance à la fois décontractée et introspective. Une chanson vraiment solide qui montre encore une fois toute la polyvalence de Lamar.

Ailleurs, la présence de Bono est, Dieu merci, tenue à un minimum sur la violente «XXX.», qui passe d’une ambiance incendiaire à une tranquillité inquiétante en un clin d’œil, où Kendrick y décrit une Amérique à feu et à sang. De la grande composition et une aussi grande interprétation.

Plusieurs voient en Kendrick Lamar un sauveur, un prophète ou même un Dieu. Des gens qui analysent, réanalysent et suranalysent ses paroles et ses moindres faits et gestes. Un peu comme Bob Dylan dans les années 1960, Kendrick est perçu comme ce chroniqueur de la réalité capable de mettre en mots les maux d’une société américaine divisée qui se cherche drôlement depuis quelque temps.

Il est pratiquement impensable que quelqu’un puisse porter un tel fardeau et c’est ce que l’on retire lors de l’écoute de DAMN.: on dirait que Lamar porte le monde sur ses épaules. Et les critiques et magazines peuvent jubiler, car il y a maintenant un artiste qui capte l’imagination de tout le monde, dont la moindre sortie devient un évènement en soi. Chacune de ses pièces peut être décortiquée et les plus téméraires peuvent tenter d’y trouver un sens caché. Il y a longtemps qu’un artiste musical n’avait pas paru aussi plus-grand-que-nature.

Enfin, un nouveau mythe est arrivé. Et ça fait drôlement du bien.

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