«Les albums sacrés»: le 30e anniversaire de «The Queen is Dead» de The Smiths – Bible urbaine

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«Les albums sacrés»: le 30e anniversaire de «The Queen is Dead» de The Smiths

«Les albums sacrés»: le 30e anniversaire de «The Queen is Dead» de The Smiths

L'attrape-coeurs

Publié le 16 juin 2016 par Mathieu St-Hilaire

Crédit photo : mybandnews.com

En 1986, le groupe de Manchester The Smiths est déjà à une certaine croisée des chemins. Bien que la formation indépendante ne soit apparue que deux ans auparavant avec leur premier album honomyne, leur productivité incomparable fait déjà d’eux des artistes devant se renouveler. En effet, paraissent en 1984 les albums The Smiths et Hatful Of Hollow et le long-jeu Meat Is Murder sort l’année suivante en 1985. La mentalité du groupe est fort simple : ils enregistrent tout ce qu’ils écrivent. Et Morrissey et Marr, leaders incontestés du groupe, écrivent à un rythme phénoménal. D’ailleurs, les principaux détracteurs des Smiths mentionnent que leurs albums sonnent comme une collection de singles et non comme un tout cohérent. Pas de problème, le groupe entre en studio à l’hiver 1986 pour enregistrer ce qui deviendra The Queen Is Dead, chef d’œuvre incontesté du groupe et de l’histoire de la musique indie.

Il est absolument impératif de faire connaissance avec les deux principaux protagonistes lorsque l’on traite des Smiths. Steven Patrick Morrissey, dit Morrissey, est un lecteur abusif qui possède un talent inouï pour manier les mots. En tant que chanteur, il est aux antipodes des normes de ce qu’est habituellement un leader d’un groupe rock: il est timide, introverti et inadéquat. Sauf qu’outre sa plume extraordinaire, Moz est muni de deux qualités essentielles à tout chanteur: il a du cran et du panache à revendre.

À sa gauche se trouve Johnny Marr, que l’on surnomme avec justesse le premier ministre de la guitare. Marr a un look rock ‘n’ roll beaucoup plus conventionnel que son chanteur. Son jeu de guitare est tout aussi impeccable que son style: bien qu’aucunement flamboyant, Marr est l’un des guitaristes les plus mélodieux qui soit. Il ne se place jamais avant son art, ses mélodies et ses chansons étant beaucoup plus importantes que de promouvoir ses prouesses. Il est sans contredit le génie musical du groupe, opérant un peu dans l’ombre du flamboyant-malgré-sa-non-orthodoxie Morrissey. Selon toute vraisemblance, un tel duo ne devrait pas fonctionner, sauf que la musique défie souvent la logistique et les cadres établis. Le mariage Morrissey-Marr est donc parfait.

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Le groupe est confronté à plusieurs problèmes lors de l’enregistrement de l’album à l’hiver 1986: Johnny Marr sombre dans l’alcoolisme, le bassiste Andy Rourke est renvoyé puis réintégré dû à des problèmes d’héroïne et le groupe est en difficulté financière et contractuelle avec sa compagnie de disque. Les membres du groupe sont dans l’isolement et la noirceur, deux thèmes familiers qui inspirent au plus haut point Morrissey.

La première pièce est complètement retentissante. À plus de six minutes, «The Queen Is Dead» est probablement la plus grande attaque contre la monarchie britannique depuis «God Save the Queen» des Sex Pistols neuf ans plus tôt. Sauf que Morrissey, qui utilise les mots comme des armes tout comme Johnny Rotten le faisait, est en mode prose extraordinaire, matraquant les conventions et les institutions anglaises en passant du comique au tragique en un rien de temps, souvent dans la même phrase. «The Queen is Dead boys / And it’s so lonely on a limb», scande Morrissey pendant que Johnny Marr martèle ses guitares comme jamais. Musicalement, c’est la pièce la plus lourde et sombre du groupe jusqu’à présent.

La plume satirique de Morrissey est encore en vedette sur «Frankly, Mr. Shankly», chanson ultra-accrocheuse qui fait penser à la période folk-rock des Kinks dans les années soixante. À l’intérieur, Morrissey crache sur la corruption de l’industrie musicale et directement sur Geoff Travis, président de leur compagnie de disque Rough Trade. Voyez un peu le cran de Morrissey à la toute fin de la pièce: «Frankly, Mr. Shankly since you ask / You are a flatulent pain in the arse/I do not mean to be so rude / But still I must speak frankly, Mr. Shankly».

L’atmosphère change complètement avec «I Know It’s Over», hymne ultime des cœurs brisés. Il est difficile de trouver une chanson plus poignante dans l’histoire de la musique populaire. Alors que Morrissey était en mode attaque lors des deux premières pièces, il est ici seul, laissé à l’abandon et sans défense. «Oh Mother I can feel the soil falling over my head», chante-t-il d’entrée de jeu, témoignant son désarroi suite à une douloureuse rupture. La chanson progresse avec la même intensité que les mots utilisés, jusqu’à ce que Morrissey revienne à répéter de manière toujours plus agitée  la toute première phrase, comme si la terre lui tombait maintenant sur la tête à un rythme effréné. Le climax de la pièce est décontenançant.

Le groupe revient ensuite avec ses chansons pop parfaites typiques avec «Cemetry Gates», «Bigmouth Strikes Again» et «The Boy with the Thorn In His Side», où Morrissey touche à trois de ses sujets préférés: Oscar Wilde, sa dépression et son narcissisme. Les trois morceaux sont musicalement irrésistibles et joués de brillante façon par le groupe, les membres au sommet harmonique de leur complicité.

Avec les années, «There Is A Light That Never Goes Out» s’est frayé un chemin dans la culture populaire comme une chanson romantique incontournable. Avec raison, car elle est intemporelle, tant dans son interprétation que dans les mots, dépourvus des clichés habituels, utilisés par Morrissey: «And if a double-decker bus crashes into us / To die by your side is a such a heavenly way to die / And if a ten ton truck kills the both of us / To die by your side where the pleasure and the privilege is mine». Il n’y a pas grand-chose à ajouter. Le groupe conclut ensuite avec la totalement hilarante «Some Girls Are Bigger Than Others», réplique de Morrissey à tous ceux qui l’accusaient de terminer les albums des Smiths de manière trop sérieuse.

Les phrases «cet album a changé ma vie» ou «cet album m’a sauvé la vie» sont sans doute beaucoup trop souvent prononcées pour décrire une œuvre musicale. The Queen Is Dead est peut-être une des exceptions à la règle. De la même façon que le roman L’attrape-cœurs  de J.D. Salinger sert encore de remède à celles et ceux ayant de la difficulté à trouver leur place, The Queen Is Dead semble avoir la même force thérapeutique. D’ailleurs, Morrissey n’a jamais caché son combat perpétuel contre la dépression. Ajoutez-y des mélodies extraordinaires et des chansons mémorables, avec des pincées d’humour et de drame, et vous y retrouverez une œuvre dont les lumières ne s’éteignent jamais.

Surveillez la prochaine chronique «Les albums sacrés» le 30 juin 2016.

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