«Les albums sacrés»: le 30e anniversaire de Violator de Depeche Mode – Bible urbaine

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«Les albums sacrés»: le 30e anniversaire de Violator de Depeche Mode

«Les albums sacrés»: le 30e anniversaire de Violator de Depeche Mode

Voyager les yeux fermés et les oreilles grandes ouvertes

Publié le 27 février 2020 par Isabelle Lareau

Crédit photo : Mute Records

Parfois, on s’entiche d’une formation, car on aime le jeu de guitare, la voix ou encore le rythme. Il arrive aussi que l’on éprouve un sentiment de réconfort, car les paroles résonnent particulièrement avec notre vécu ou notre vision de cette chose étrange qu’est la vie. Je crois que lorsque les mélomanes ont entendu Depeche Mode, ils ont été séduits par l’amalgame incroyable que constituent les mots, la voix et la musique.

Martin Gore, le parolier, fidèle à ses tourments et à ses désirs, explore des thèmes bien définis. Lors de la promotion de Violator, paru en 1990, il déclara au magazine Spin à la blague: «J’ai un top dix de sujets. Cette liste comprend: les relations, la domination, la tentation, l’amour, le bien, le mal, l’inceste, le péché, la religion et l’immoralité.» Il y a bien un fond de vérité, mais ce sont aussi des obsessions intemporelles (quoique l’inceste…) Pourtant, il affirme que tous ses textes sont écrits à la dernière minute, qu’il se laisse guider par son subconscient.

Son écriture est définitivement l’une des forces de Depeche Mode, alors pourquoi changer une formule gagnante, surtout lorsque le parolier principal trouve l’exercice difficile?

Toutefois, après dix ans dans l’industrie, un changement de direction s’imposait. Surtout pour Martin Gore et le claviériste Alan Wilder, les deux cerveaux responsables de la composition de la musique. Jusqu’à ce stade-ci de leur carrière, la paire procédait toujours de la même façon: Martin arrive en studio avec ses démos quasi terminées et Alan les peaufine.

Cette fois, ils décidèrent que les maquettes seraient des ébauches afin de les développer en studio. De plus, la guitare prendra un tournant plus rock, les enregistrements de batterie seront joués en boucle, il y aura des instruments (et pas que de l’échantillonnage et des claviers), de la réverbération, de sonorités électro… Alan Wilder et le réalisateur Mark «Flood» Ellis sont des génies de la technologie et ont travaillé étroitement, contribuant ainsi à révolutionner le son de Depeche Mode.

Les rôles de chacun

Souvent, on entend dire qu’il n’y a pas de véritable démocratie dans un groupe. À l’époque, c’était vrai pour Depeche Mode, où une division étanche des tâches est très ancrée en fonction des qualités de chacun. Martin est le parolier et compositeur, Alan est le musicien professionnel qui sait façonner les chansons en studio, Andrew est le gérant, et Dave c’est le chanteur au charisme fou.

De manière générale, il était difficile pour les membres de s’aventurer dans la sphère des autres, ce qui pouvait engendrer certaines frustrations. Bien que Fletch (Andrew Fletcher) s’en est fait une raison, Dave aurait aimé écrire des paroles lui aussi. Mais c’était la chasse gardée de Martin (cela a changé avec les années). De plus, des clans se sont formés. D’un côté, il y a Dave et Alan, de l’autre, Martin et Fletch. Si l’enregistrement se passa pourtant bien, la vie personnelle de certains membres fut plutôt sombre.

Le chanteur s’enlise dans son problème de dépendance et son mariage bat de l’aile; il trouve alors du réconfort auprès de l’agente publicitaire du groupe, également une héroïnomane. Gore, pour sa part, était alcoolique, mais c’était mieux toléré, voire normalisé par l’entourage, à l’instar de la toxicomanie de Gahan. Fletch plonge dans une dépression profonde, accentuée par la perte de sa sœur, qui succomba au cancer. Un malaise qui se transpose dans la tournée subséquente, où les excès font partie de la routine. Une situation qui dégénèrera et qui explosera lors de Songs Of Faith And Devotion (1993).

Mais revenons à Violator

Ce septième opus a marqué une étape importante et essentielle dans la vie de Depeche Mode. Le quatuor (à l’époque, car Wilder quittera le navire en 1995) prouve qu’il est davantage qu’une formation éphémère, qu’il continue à évoluer et à se transformer. Ce disque est aussi celui qui s’est le mieux vendu, pavant la voie à un son rock électro raffiné et à la consolidation de la guitare. La musique, bien que rythmée, est douce et envoûtante.

Pour les besoins de la chronique, j’ai réécouté l’album, puisque je ne l’avais pas entendu dans son entièreté depuis plusieurs années. Cela m’a permis de constater deux choses: je connais toujours les paroles par cœur et — WOW — la qualité de la réalisation est fantastique! Même 30 ans après sa sortie.

Les pièces de résistance

«World In My Eyes» est un appel à la sensualité, une exhortation à profiter du moment présent, sans suranalyser. Une chanson électro qui se veut aussi un hommage à Kraftwerk.

«Personal Jesus» est une juxtaposition intéressante. Martin Gore l’a souvent dit en entrevue; il a eu l’idée en lisant la biographie de Priscilla Presley (Elvis & Me, 1985), dans laquelle elle affirme que le chanteur rock était son sauveur personnel, un amoureux qui était plus grand que nature. Mais le texte fait également référence aux fameux télévangélistes américains qui offrent aux croyants la confession par le biais du téléphone, un phénomène qui semblait bien singulier aux yeux des Britanniques lors de leurs passages chez nos voisins du sud.

«Enjoy the Silence» aurait bien pu être complètement différente. Gore avait présenté une ballade inachevée, composée au piano, et au tempo très lent. Flood, le réalisateur, ordonne au groupe de quitter le studio et de ne pas revenir avant deux jours. À leur retour, il demande à Gore d’ajouter un riff de guitare afin d’injecter un rythme plus vigoureux à la pièce. Satisfait de cet ajout, il presse Dave de chanter et enregistre le tout. En quelques jours à peine, la chanson est terminée. Ils essayèrent de l’améliorer, mais en vain, car le morceau était fantastique comme il était. Les membres savaient qu’ils avaient créé quelque chose de très spécial, ne se doutant pas du succès que connaitrait cet extrait, devenant celui qui s’est le mieux illustré sur les différents palmarès. 

«Policy Of Truth» parle de l’idée de mentir, pour sauver les apparences, comme si cela pourrait être une stratégie plus avantageuse que celle de gérer les conséquences découlant d’un aveu difficile, comme l’infidélité. Un peu comme si le quatuor nous faisait la morale. Trouver un riff de guitare qui cadrait avec cette chanson fut laborieux. Alan Wilder a même considéré la flûte en guise de remplacement. Imaginez!

«Blue Dress» est probablement la seule chanson de Depeche Mode que je déteste. Je la trouve sirupeuse et trop facile. Le texte et la pièce sont particulièrement clichés et simples. La formation nous a habitués à des paroles plus sophistiquées, offrant un second degré, une invitation à une interprétation plus personnelle. Celles-ci mettent de l’avant un point de vue réducteur (autant pour la femme que son admirateur), ce qui détonne avec le style de Gore. D’ailleurs, il n’hésitera pas à qualifier ce titre de «pervy», et Alan, de remplissage d’espace. Musicalement parlant, il manque des textures plus ingénieuses et étoffées ainsi qu’une cadence ensorceleuse, comme Depeche Mode sait si bien les confectionner.

Depeche Mode a toujours eu une identité sonore distincte et facilement reconnaissable. Leurs chansons ont cette capacité étonnante de se faufiler dans notre existence et de se moduler à nos émotions. Oui, il y a la musique et les mots, mais il y a aussi la voix chaleureuse de Dave Gahan (un baryton, trois octaves), un délice pour les oreilles. Sa présence enveloppe les pièces en leur conférant un aspect grandiose et transcendant. Un peu comme si nous flottions en apesanteur dans le ciel et qu’une impression de communion entre la mélodie et nos sentiments nous habite. 

Quelle est votre chanson préférée de Violator? Personnellement, je craque pour «Enjoy the Silence».

Surveillez la prochaine chronique «Les albums sacrés» le 12 mars 2020. Consultez toutes nos chroniques précédentes au labibleurbaine.com/Les+albums+sacrés.

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