«Les albums sacrés»: le 50e anniversaire d’At Folsom Prison de Johnny Cash – Bible urbaine

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«Les albums sacrés»: le 50e anniversaire d’At Folsom Prison de Johnny Cash

«Les albums sacrés»: le 50e anniversaire d’At Folsom Prison de Johnny Cash

Le retour de l’homme en noir

Publié le 18 mai 2018 par Mathieu St-Hilaire

Crédit photo : Jim Marshall

Hello, I’m Johnny Cash, de dire simplement Johnny Cash avant d’entamer un concert légendaire à la prison Folsom en Californie. La phrase est devenue iconique et a traversé le temps, mais pourtant, lorsqu’il prononce ces mots, Cash est pratiquement considéré comme un artiste déchu, rongé par tous ses problèmes de consommation qui le suivent partout où il va depuis plusieurs années. En janvier 1968, lors de l’enregistrement du fameux spectacle au pénitencier, l’homme en noir n’a pas produit de succès depuis longtemps. Trop longtemps. Ses abus et écarts de conduite lui ont valu des démêlés avec la justice et des visites en prison. Après une cure de désintoxication, Cash propose à sa compagnie de disque, Columbia, d’enregistrer un album live dans une prison, soit Folsom ou San Quentin. Il obtiendra aussitôt une réponse de Folsom. La prestation demeure encore à ce jour l'un de ces moments qui vous glacent le sang.

Il est important de mentionner qu’il ne s’agit pas du premier concert de Johnny Cash à l’intérieur d’un pénitencier. En effet, Cash s’est produit dans plusieurs prisons à la fin des années 1950 et au début des années 1960. At Folsom Prison est toutefois le premier album à être enregistré à l’intérieur d’une prison devant des détenus et des gardes de sécurité. La proposition est audacieuse, mais au point où il en est, Cash doit suivre son instinct et tenter le tout pour le tout. Il retourne aussi à ses inspirations et à ses fascinations du monde carcéral, de la criminalité et du châtiment que doit traverser l’homme pécheur.

Johnny Cash écrit la chanson «Folsom Prison Blues» en 1952. Elle devient rapidement un succès commercial country au milieu de la décennie, alors que Cash fait paraître son tout premier album. Plus d’une décennie plus tard, il se retrouve à cette même prison où il débute évidemment son concert avec cette chanson. Prophétique ou bien calculé? N’empêche que le titre deviendra mythique en 1968. «But I shot a man in Reno just to watch him die» est la phrase qui fait lever le poil sur les bras, surtout en entendant les cris et les applaudissements des spectateurs qui suivent. Soudainement, on a affaire à bien plus que de la musique. Et après quelques phrases seulement, Johnny Cash est de retour, plus grand que nature.

Le ton est bien établi. Les chansons qui vont suivre seront douloureuses, violentes et brutales. Par contre, elles seront aussi poignantes, vraies et déstabilisantes.

«Dark as the Dungeon» est d’une beauté foudroyante, la voix baryton de Cash étant en vedette. Ce dernier se permet même de rigoler en plein milieu de la pièce, comme s’il se sentait à la maison. Parlant de beauté, «I Still Miss Someone» touche indéniablement les cœurs des détenus: «I miss those arms that held me / When all the love was there». «Cocaine Blues» est un hymne country hors-la-loi qui amène le concert à un autre niveau.

«25 Minutes to Go», malgré ses airs entraînants et un Cash humoristique, traite des derniers moments d’un homme avant son exécution. À noter qu’entre chacune des pièces, Cash plaisante avec l’auditoire. «The Long Black Veil» est un autre moment grandiose et rappelle à quel point la musique folk peut être puissante. Encore une fois, malgré les mots terribles chantés par Cash, on sent la joie des gens dans la foule. «Send a Picture of Mother» conclut la première partie sous une note triste, laissant sans doute plusieurs membres de l’audience émus avec ces mots: «Say hello to Dad and shake his poor hardworking hand/And send a picture of Mother if you can». Émouvant, vous avez dit?

Cash poursuit ses ballades sur le monde carcéral avec «The Wall» avant d’enchaîner avec «Dirty Old Egg Suckin’ Dog», à propos d’un fermier qui veut abattre un chien qui mange ses récoltes, au grand amusement de tous. «Flushed from the Bathroom of Your Heart» est marquée elle aussi d’humour, Cash allant même jusqu’à dire qu’il s’agit d’une chanson d’amour. La connexion de l’artiste avec le public est palpable et magnifique.

Comme si le concert ne roulait pas déjà assez à vive allure, June Carter, la muse de Cash, le rejoint sur scène pour une prestation lumineuse de «Jackson», encore une fois à l’émerveillement du public. «Give my Love to Rose» traite encore une fois de la solitude et de la distance d’avec l’être aimé. On peut sentir toute l’influence d’Hank Williams sur Johnny Cash ici. Cash, toujours proche de ses héros, reprend ensuite «I Got Stripes» de Lead Belly. «Green, Green Grass of Home» fait ensuite verser des larmes aux détenus.

La toute dernière pièce ajoute à la légende que représente cet album concert de Johnny Cash. «Greystone Chapel», écrite par le détenu de Folsom Glen Sherley et apprise par Cash et son groupe quelques jours avant le spectacle, vient transporter tout le monde, pendant un instant, hors des murs de la prison: «Inside the walls my body may be / But my Lord has set my soul free». Rien à ajouter.

Si vous désirez une preuve de la force phénoménale que la musique peut créer dans l’esprit des gens, en voici une colossale. At Folsom Prison est non seulement un concert exceptionnel, mais aussi un document d’archives qui ne fera que gagner en importance au fil du temps. Il atteindra la 13e position sur les palmarès américains et confirmera le retour de Johnny Cash après des années passées à combattre ses démons. Dans une carrière bien remplie, c’est peut-être sur cet enregistrement que Cash brillera le plus.

Que l’album ait cinquante ans ou deux-cent-cinquante ans, son effet demeurera le même et démontrera qu’une chanson pourra toujours faire son chemin à l’intérieur de tout le monde, de la plus grande sainte au pire des ingrats.

Surveillez la prochaine chronique «Les albums sacrés» le 31 mai 2018. Consultez toutes nos chroniques précédentes au labibleurbaine.com/Les+albums+sacrés.

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