«Les albums sacrés»: le 50e anniversaire de Paranoid de Black Sabbath – Bible urbaine

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«Les albums sacrés»: le 50e anniversaire de Paranoid de Black Sabbath

«Les albums sacrés»: le 50e anniversaire de Paranoid de Black Sabbath

Le diable est dans les détails

Publié le 25 septembre 2020 par Isabelle Lareau

Crédit photo : Tous droits réservés @ Vertigo Records

Certains groupes possèdent une notoriété qui découle davantage de leur image que de leur talent. D’autres ont une réputation d’être d’excellents musiciens sans pour autant avoir de la visibilité dans les médias. Pour être honnête avec vous, je ne saisis pas tout à fait la raison qui explique l’immense popularité Black Sabbath.

Est-ce parce qu’ils ont créé de l’excellente musique? Parce qu’ils sont considérés comme étant ceux qui ont inventé le heavy metal? Est-ce en raison de leur «symbolisme satanique»? Parce qu’Ozzy fut la vedette de sa propre émission de téléréalité? Un pacte avec lucifer? Toutes ces réponses?

Quoi qu’il en soit, une carrière de 49 ans, plus de 70 millions d’albums vendus et des tournées mémorables ponctuent le parcours de ce quatuor atypique. Mais surtout, ce groupe métal a une place de choix dans le cœur des mélomanes. Comment expliquer un tel succès?

Probablement l’ambition, l’originalité et le contexte. Un peu de marketing astucieux ne fait pas de mal non plus.

Cela peut être difficile à croire, mais ils étaient hyper disciplinés. Ils avaient un but: améliorer leur sort et ne pas retourner travailler dans une usine. En effet, ayant grandi dans le quartier d’Aston, à Birmingham (Angleterre), la vie était particulièrement lugubre. Les membres, ayant grandi pendant l’après-guerre, éprouvaient certaines craintes. Les vestiges de la Deuxième Guerre mondiale étaient bien visibles, certains édifices portaient encore les cicatrices causées par les bombes. Le spectre de la guerre du Vietnam était bien présent et les musiciens redoutaient la conscription. Économiquement, la ville peinait à se relever et la classe ouvrière, qui n’avait pas de réelle possibilité d’avancement, se considérait chanceuse de pouvoir travailler. De plus, les rues étaient dangereuses en raison de la présence de gangs et de la violence était normalisée.

Jonglant emploi alimentaire et concerts, ils pratiquaient ensemble chaque jour, dès neuf heures le matin, s’accordant une pause pour le thé et quelques cigarettes (une habitude héritée de Jethro Tull). Michael Osbourne, qui était déjà connu sous le nom d’Ozzy, avait eu des démêlés avec la justice et avait fait de la prison. Il avait abandonné l’école pour travailler dans un abattoir. C’était également le cas de Tony qui, pour sa part, œuvrait dans une usine de métallurgie. L’accident survenu lors de sa dernière journée de travail (le bout de deux de ses doigts sectionnés) changera sa façon de jouer (autant dans le choix que du degré de tension des cordes, opter pour le style sludge – une innovation), c’est ainsi que le son de Sabbath deviendra si distinct. Terrence «Geezer» Butler était un guitariste, mais il fut contrait de se rabattre sur la basse après que Tony lui ait dit qu’il était le seul à jouer de la guitare. Bill Ward, un autodidacte, était un batteur talentueux. Tous étaient influencés par le blues et le jazz. Lorsque le groupe prit forme, en 1968, ils jouaient du blues.

Geezer dira souvent en entrevue qu’il n’est aucunement sataniste, qu’au contraire, il tente d’avertir des dangers d’une telle pratique. Disons que c’est difficile d’y croire, sachant que le groupe se nommait, à l’origine, Polka Tulk Blues Band, une référence à la marque de talc que la mère d’Ozzy utilisait, mais aussi à leur son blues.

Vous le savez sûrement, le nom Black Sabbath provient du film du même nom (1963) et du fait que le chanteur se demandait pourquoi les gens payaient pour voir des films d’horreur au cinéma et, de façon plus opportuniste, comment intégrer cette idée pour rendre leur musique plus attrayante… Par ailleurs, c’est la photo d’une sorcière qui gracie la pochette du premier disque de la formation, intitulé Black Sabbath (paru le vendredi 13 février 1970). Une tournée de six mois s’ensuit pendant laquelle ils écrivent des paroles et composent des riffs de guitare. Constatant que la formation commençait à générer de l’attention, l’étiquette mit de la pression pour qu’il retourne immédiatement en studio. L’enregistrement dure six jours, ils jouèrent de façon live. Le 18 septembre 1970, Paranoid atterrit dans les bacs des disquaires.  

Je trouve extraordinaire qu’ils aient été en mesure de produire aussi rapidement deux offrandes qui soient aussi géniales! Leur discipline, leurs nombreuses heures de pratique et leur talent expliquent ce résultat. D’ailleurs, lors des entrevues, il n’est pas rare que les musiciens se complimentent les uns les autres, tous admiratifs des habiletés de leurs collègues. Mais aussi, ils ont une connexion et savent comment amplifier l’apport de différents membres.

Le bassiste, qui excellait dans ses cours d’anglais, est le parolier principal. Ses textes sont particulièrement intéressants, spécialement lorsqu’on comprend qu’il y avait un désir conscient de ne pas composer de chansons d’amour. En fait, il dépeignait sa ville, son époque, le climat politique et ses craintes. Ozzy participait également à l’écriture.

Geezer fut un pionnier en ce sens qu’il fut l’un des premiers à parler de maladies mentales. L’extrait «Paranoid» détaille sa dépression, accentuée par le sentiment de ne pas avoir de but, de direction, pour le guider. Pourtant, la guitare rugissante et le rythme soutenu de la batterie créent un sentiment d’urgence pour l’auditeur. La voix d’Ozzy a un je ne sais quoi de maniaque, conférant ainsi au titre cette impression de surstimulation.

Le bassiste fut audacieux et parla de syndrome de stress post-traumatique, ce que personne ne faisait dans les années 60 et 70, et raconta l’histoire de soldats qui s’automédicamentent avec de l’héroïne pour alléger leur souffrance. Le résultat est «Hand of Doom», un morceau de plus de sept minutes plutôt sophistiqué avec des changements de tempo et de textures qui marquent différents moments de la tragédie qui se dessine devant nos yeux. Les paroles sont spécialement bien réussies, selon mon humble opinion.

«Planet Caravan», est, pour moi, la surprise de l’album. Super envoûtante et lente, presque méditative. Chaque fois que je l’écoute, je dois faire un effort pour me rappeler que c’est bel et bien du Black Sabbath, car ce morceau détonne vraiment du reste de l’album. Bien qu’intéressante, elle ne représente pas le plein potentiel du quatuor anglais.

«Iron Man» est une chanson extraordinaire, une épopée futuriste illustrant un questionnement philosophique. Les paroles fantastiques et pessimistes, la voix menaçante bien que détachée décrit à merveille le sentiment d’égarement de la jeunesse, le tout, dans une ville hostile où les gangs de rue font la loi. Et le jeu de guitare d’Iommi est incroyable. Dès les premières notes, on reconnait instantanément la chanson et il est quasi impossible de ne pas suivre le rythme en hochant de la tête. 

«War Pigs», ce véritable joyau, est une attaque en règle contre les politiciens qui semblent insensibles aux ravages psychologiques que vivent les militaires. C’est aussi la peur que les Anglais avaient d’être forcés à joindre l’armée dans la guerre du Vietnam. Encore une fois, la guitare est sublime, le rythme est lourd et puissant et la voix nasillarde et émotionnelle d’Ozzy en font un classique intemporel.

L’aspect glauque de la musique de Sabbath s’explique en bonne partie grâce au contexte dans lequel le groupe a évolué. Je ne crois pas du tout que les membres soient satanistes. Au contraire, je dirais qu’ils sont humanistes, bien que pessimistes.

À leurs débuts, les médias et les critiques n’ont pas su reconnaître leurs habiletés, et encore moins leur génie. On leur a reproché de ne pas être doués et de se prendre au sérieux. À l’époque, les gens étaient loin de s’imaginer qu’on leur attribuerait la paternité du heavy metal! Même Rob Halford de Judas Priest affirme que Black Sabbath constitue «le début du vrai heavy metal». Qui sommes-nous, pauvres mortels, pour contredire Rob?

En 1970, les jeunes marginaux étaient heureux d’avoir trouvé une formation en qui ils se reconnaissaient. En 2020, lorsque l’on revisite cet album, on remarque son ingéniosité. Au lieu du bouillon de poulet pour l’âme, nous avons Paranoid. Ce disque est excellent (et il me donne envie de reprendre ma guitare, même si je n’aurai jamais le talent de Tony Iommi).

Surveillez la prochaine chronique «Les albums sacrés» en octobre 2020.  Consultez toutes nos chroniques précédentes au labibleurbaine.com/Les+albums+sacrés.

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