«Les albums sacrés»: le 50e anniversaire de «Pet Sounds» des Beach Boys – Bible urbaine

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«Les albums sacrés»: le 50e anniversaire de «Pet Sounds» des Beach Boys

«Les albums sacrés»: le 50e anniversaire de «Pet Sounds» des Beach Boys

Le chef-d'oeuvre

Publié le 12 mai 2016 par Mathieu St-Hilaire

Crédit photo : Capitol Records

En décembre 1964, les Beach Boys font fureur des deux côtés du continent. Avec son surf pop immensément accrocheur et ensoleillé, le groupe californien est une véritable machine à fabriquer des hits: «Surfin’ USA», «I Get Around», «Fun Fun Fun», «California Girls», «Barbara Ann» et plusieurs autres tournent à peu près partout, faisant du quintette l’un des groupes les plus populaires de la planète. Pourtant, Brian Wilson, leader et génie créatif du groupe, cède à l’anxiété, à la pression et à la panique et se retire des projecteurs des tournées. Bien qu’il chante le rêve californien, Wilson représente ironiquement son antithèse: socialement inadapté, un peu rondouillard et, pour couronner le tout, doté d’une peur de l’eau.

Sauf que Wilson est très entêté lorsqu’il est question de musique. Un an après ses crises de panique, il entend pour la première fois l’album Rubber Soul des Beatles et devient instantanément inspiré par les Fab Four, pourtant ses plus grands rivaux. Tout comme le groupe de Liverpool, Brian Wilson désire créer un album où chaque morceau aura son importance et qui agira comme œuvre complète de la première à la dernière chanson. Au même moment, il commence à consommer de la marijuana et du LSD, ce qui contribue à canaliser encore plus son énergie créatrice. L’objectif est clair: faire de la musique pop un art distinct, ce qui entraînera l’immortel Pet Sounds.

Bien qu’il s’agisse d’un album des Beach Boys, Pet Sounds sera pratiquement un projet solo de Brian Wilson. Le deuxième plus grand contributeur de l’album, le parolier Tony Asher, avec qui Wilson s’est associé afin de l’aider à mettre ses pensées en mots, ne fait même pas partie du groupe. Le leader du groupe de Californie veut atteindre les gens à un tout autre niveau, plus profond et introspectif. En même temps, il devient complètement obsédé par la réalisation et les arrangements, ce qui explique l’extraordinaire richesse de l’album. L’incorporation de différents styles (jazz, classique, baroque, folk, pop, rock, expérimental, etc.) avec de nouvelles instrumentations (du thérémine aux sonnettes de bicyclettes) amènera de l’innovation sur chaque chanson, créant une ambiance à la fois sophistiquée et sincère.

Dès les premières notes de «Wouldn’t It Be Nice?», on a l’impression d’entrer dans le rêve de Brian Wilson. La pièce mélange extraordinairement naïveté et frustration, Wilson exprimant le désir de trouver la fontaine de jouvence et de vivre éternellement le plus intense des amours. «You Still Believe In Me»  poursuit avec des harmonies vocales absolument délicieuses. D’ailleurs, Wilson a toujours mentionné que l’instrument le plus important pour lui était la voix, et la qualité des enregistrements vocaux sur Pet Sounds demeure pratiquement intouchable encore aujourd’hui dans l’histoire de la musique pop.

Chaque chanson de l’album peut être ressentie par l’auditeur, exploit plutôt hors de l’ordinaire quand l’on songe à quel point les arrangements et les instrumentations sont pointues et méticuleuses. «Don’t Talk (Put Your Head On My Shoulder)» en est un exemple sidérant, le somptueux arrangement de cordes venant nous attendrir tout comme les lignes de Wilson: «Don’t talk / Take my hand / And listen to my heartbeat». Même les instrumentales sont à faire rêver, plus spécialement «Let’s Go Away For A While», qui sera aux dires de Wilson la pièce qui lui a donné la plus grande satisfaction d’écrire dans sa carrière.

beachboys

Bien que l’album touche à absolument tous les aspects de l’amour et du lot de complexités qu’une relation peut apporter, la chanson «Sloop John B.» se distingue des autres, car elle semble être la seule qui n’abonde pas dans l’idée globale de l’œuvre. Pièce folk traditionnelle des Indes occidentales réécrite de façon irrésistible et témoignant des déboires de marins voulant revenir à la maison, la chanson sera le premier extrait du disque. Et bien qu’elle cadre un peu moins avec le reste de l’album, je ne connais aucun album qui a souffert de l’ajout d’une chanson pop parfaite.

Parlant de perfection, vient ensuite «God Only Knows», qui n’a vraisemblablement plus besoin de présentation. Véritable morceau du paradis, Paul McCartney ira même jusqu’à déclarer qu’il s’agit de la meilleure chanson jamais écrite. Si vous voulez entendre des anges chantés la plus belle harmonie vocale jamais enregistrée, je vous suggère d’écouter Brian Wilson et sa bande envoyer leurs auditeurs au ciel en récitant «God Only Knows What I’d Be Without You» en canon jusqu’à la toute fin. Renversant.

Et non seulement Wilson ne trouve-t-il pas réconfort auprès de Dieu, mais ses expériences avec la drogue le laisse également sans réponses. Écrite en plein trip d’acide, «I Know There’s An Answer» réussit l’impossible, soit de suivre le moment d’extase qu’est «God Only Knows» tout aussi sublimement. Les derniers moments de la chanson sont également d’une beauté inouïe. «I Just Wasn’t Made For These Times», officiellement la première chanson de l’histoire de la musique pop qui met en vedette un thérémine, témoigne de la santé mentale fragile de Wilson, lui qui sombrera dans une longue et profonde dépression quelque temps après la parution de Pet Sounds.

L’album se termine avec la poignante et transparente «Caroline, No», où Wilson chante l’amour et l’innocence perdus à jamais. «Could I ever find in you again / The things that made me love you so much then / Could we ever bring’em back once they have gone?», chante-t-il, au sommet de sa vulnérabilité.

Cinquante ans ont passé depuis Pet Sounds et malgré l’une des pochettes les plus ridicules de l’histoire de la musique (soyons honnêtes), le temps ne fait que rendre l’album encore meilleur année après année. Au-delà de ce que l’on pourrait appeler une œuvre majeure, le chef d’œuvre de Brian Wilson est un monument (le monument?) de la musique contemporaine, populaire ou non. Et bien que les Beatles aient remporté la plupart des batailles contre Brian Wilson, à savoir s’ils ont déjà livré un meilleur album que Pet Sounds demeure matière à réflexion.

Surveillez la prochaine chronique «Les albums sacrés» le 26 mai 2016.

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