«Les albums sacrés»: les 30 ans de l’album Disintegration de The Cure – Bible urbaine

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«Les albums sacrés»: les 30 ans de l’album Disintegration de The Cure

«Les albums sacrés»: les 30 ans de l’album Disintegration de The Cure

Et si Kyle de South Park avait raison...

Publié le 27 août 2019 par Isabelle Lareau

Crédit photo : Electra Entertainment

Est-ce que vous vous souvenez de l’épisode de South Park où Robert Smith triomphe de la terrible (Barbara) Mecha-Streisand? Plus ou moins, n’est-ce pas? Mais peut-être vous rappelez-vous qu’à la fin de l’épisode, tandis que Robert Smith quitte South Park, Kyle crie: «Disintegration is the best album ever!»? Sûrement! Le légendaire Robert Smith avait accepté de prêter sa voix, au grand bonheur des admirateurs, dont font partie les créateurs de l’émission, Trey Parker et Matt Stone. Est-ce que Disintegration est le meilleur album de tous les temps?

La question vaut la peine d’être posée.

En fait, plusieurs éléments méritent d’être revisités pour mieux comprendre pourquoi cette offrande est devenue l’un des albums phares de la formation. Le contexte, entre autres, nous offre un éclairage sur l’état d’esprit de Robert Smith, le génie derrière The Cure.

Lorsque Smith débuta l’écriture de Disintegration, en 1988, cela faisait à peine un an que Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me avait été lancé. Le succès commercial de ce disque, ayant permis au groupe d’atteindre un sommet jusqu’à ce moment inégalé, lui laissa un goût amer. Robert Smith décide alors que The Cure retournerait à un son plus sombre et atmosphérique, un style plus synchronisé avec l’identité du groupe. Il s’agissait d’un suicide professionnel tout à fait volontaire. Le but? Créer une rupture avec l’album précédent.

Pourtant, quand le groupe s’aventure du côté de la musique pop, il réussit avec brio. Pensons à «Just Like Heaven», par exemple. Car il y a bel et bien deux côtés à The Cure: un qui est pop et légèrement tordu, en opposition avec la nature plus glauque et expérimentale, voire psychédélique, de la formation. Cependant, même lorsqu’elle est joyeuse, la musique de The Cure possède indéniablement une certaine noirceur.

Et il y a ce que dégage la formation: une forme de nihilisme, mais aussi de tristesse, peut-être même une humeur dysthymique que le chanteur semble vouloir minimiser après coup. En entrevue, il choisit d’opter pour l’autodérision. Bien que le rythme de certaines de ses chansons soit très joyeux et hop la vie, les paroles et la voix trahissent pourtant une profonde angoisse. Par contre, il arrive également que les textures sonores soient beaucoup plus paisibles et complexes, hypnotiques et enveloppantes à la fois.

Le deuil de la jeunesse

Smith a déjà affirmé au cours d’une entrevue que ses paroles sont le reflet de son état mental. Et pour cet album, l’angoisse, qui est omniprésente, s’est manifestée pour différentes raisons. Sa mortalité, entre autres (car le musicien allait souffler sur ses trente bougies en 1989), était une source de tristesse et d’anxiété. De plus, une consommation importante de drogues hallucinogènes et une isolation volontaire ont aussi contribué à créer une empreinte plus claustrophobe et contemplative au niveau des paroles, mais plus spécialement sur le plan de la musique. De plus, il y a deux aspects de Smith qui se révèlent à l’auditeur: il est amoureux et il craint pour la pérennité de The Cure…

Les admirateurs du groupe n’étaient pas surpris d’apprendre que Robert épousa son amour de jeunesse en 1988, année où il commença à esquisser Disintegration, le huitième album de sa formation. Plusieurs paroles très romantiques sur ce disque y font d’ailleurs écho. Mais aussi, on y retrouve une inquiétude récurrente de Smith: la fin imminente de The Cure.

Une peur que les journalistes, à travers les années, rapportent lorsqu’ils interviewent le chanteur et guitariste, avec un scepticisme grandissant… Car, cela est maintenant un running gag: le groupe, qui existe depuis 1976 (et officieusement depuis 1973), est toujours très actif en ce qui concerne les tournées et ne s’est jamais séparé, bien que Smith soit le seul membre qui n’ait jamais quitté. En effet, il y a eu plusieurs départs et quelques réembauches…

Quoi qu’il en soit, cette hantise est présente et teinte ses compositions.

Le chanteur et guitariste s’est isolé dans un environnement très sobre, seul à la maison, pour écrire. Il aime beaucoup ses nouvelles chansons, plus taciturnes pour la plupart. Il est même prêt à les endisquer seul, sans son groupe, dans l’éventualité que les autres ne soient pas d’accord avec cette direction plus ténébreuse. Les musiciens, cependant, ont accueilli ce changement avec enthousiasme. Ils optèrent donc pour le réalisateur David M. Allen (Depeche Mode, The Damned, The Mission, The Sisters Of Mercy et The Human League), avec qui ils avaient déjà travaillé. Lorsque Robert entra en studio, il ne voulait pas parler aux membres du groupe. Un climat qui se voulait déplaisant, et ce, par choix. Une idée qu’il regrettera par la suite.

Faire table rase

À vrai dire, il était dégoûté par l’industrie de la musique, déprimé et désincarné, le sentiment de désintégration devenant le catalyseur de cette offrande. La dépression de Smith, exacerbée par le fait qu’il aurait bientôt 30 ans, et l’alcoolisme du claviériste et cofondateur de la formation, pèsent lourd.

En effet, cet album a été marqué par le renvoi de Lol Tolhurst, ami de jeunesse et cofondateur du groupe. Sa dépendance le rendait inapte à contribuer à l’enregistrement. Cela causait d’énormes tensions, au point où les membres donnèrent un ultimatum à Robert: c’est lui qui part, ou c’est nous. Smith renvoya donc son ami. Il fut remplacé par Roger O’Donnell, ex-claviériste de Psychedelic Furs.

Cependant, la tristesse associée à son trentième anniversaire s’explique aussi par son côté ambitieux: David Bowie, Pete Shelley des Buzzcocks et Ian Curtis de Joy Division avaient tous lancé un chef-d’œuvre avant d’avoir atteint la trentaine, ce que Smith ne croyait pas avoir réalisé. En fait, il trouvait même Bowie ennuyeux depuis Low. Cet orgueil démesuré n’est pas nouveau pour Robert. Rappelons qu’il a voulu réussir dans l’industrie de la musique pour prouver à sa compagne qu’il en était capable. Et malgré sa timidité notoire en entrevue, le chanteur n’hésite pas à se qualifier lui-même d’arrogant, mais d’arrogant discret, contrairement à Morrissey.

Malgré cet état d’esprit où s’entremêlent LSD, dépression et anxiété de performance, il parvient à concevoir une des belles parutions de sa carrière.

Une réalité augmentée

Sa désolation se décline avec beauté et fragilité sous la forme de pièces telles que «Plainsong», «Closedown» et «Prayers For Rain». «Lovesong» fut un exercice de style pour Smith, qui affirme avoir mis dix ans à maîtriser l’art d’écrire une chanson d’amour qu’il pourrait chanter devant public. Lorsque je me suis éprise de cette ballade, je croyais qu’il s’agissait de la réalisation d’une âme esseulée qui comprenait la puissance d’un amour qui bouleverse une vie, mais qui comprenait aussi que ce sentiment, aussi grandiose soit-il, pouvait ne pas être partagé par la personne tant aimée. Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai su que ce titre est, en fait, un cadeau de mariage à celle qui allait devenir son épouse. Je crois que c’est la voix mélancolique de Robert Smith qui m’a induite en erreur.

L’épouse du chanteur fut également la source d’inspiration de «Picture of You», qui est un superbe morceau de pop qui frôle la perfection. L’origine de ce titre la suivante: le chanteur retrouve, après un feu, son portefeuille dans lequel il y avait des photographies de son amoureuse. Il les regarde avec nostalgie. Lorsque l’on écoute la chanson, nous avons plutôt l’impression que son désir est davantage un fantasme, une fabulation. Comme s’il s’agissait d’une histoire d’amour n’ayant jamais eu lieu. Encore une fois, la réalité, sous la plume de Smith, devient poésie.

«Fascination Street» est un hommage à la fameuse rue Bourbon de La Nouvelle-Orléans. C’est un récit inspiré par un Robert Smith désillusionné qui, prêt à sortir faire la fête, réalise qu’il serait naïf de sa part d’espérer vivre un «moment parfait», que ce ne serait qu’une déception. 

La chanson titre de l’opus, «Disintegration», est un mélange d’un sentiment de mortalité marqué, mais aussi d’un désir de rupture.

Pourtant, ce désir de changement, dans les faits, correspond davantage à un retour aux sources. Plus sombre, on s’aventure sur le même territoire que Pornography (1982), où l’appréhension et le désarroi règnent. On remarque des sonorités plus glaciales grâce au jeu de synthétiseur, mais aussi une intensité grâce à la basse de Simon Gallup. La guitare plus atmosphérique est inquiétante nous rappelle pourquoi The Cure est phénoménal lorsqu’il s’agit de créer une ambiance lugubre, le tout cimenté par l’usage judicieux du bruit de la pluie et du tonnerre qui gronde. La sublime mélancolie de The Cure est enivrante. Nous tombons en amour avec le désespoir.

Qu’en pensez-vous? Est-ce que Disintegration est le meilleur album de tous les temps?

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