«Man of the Woods» de Justin Timberlake – Bible urbaine

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«Man of the Woods» de Justin Timberlake

«Man of the Woods» de Justin Timberlake

Arôme artificiel de feu de camp

Publié le 5 février 2018 par Édouard Guay

Crédit photo : RCA Records

Justin a bien choisi son moment: deux jours avant son spectacle prévu à la mi-temps lors du 52e Super Bowl, il lançait en grande pompe Man of the Woods, son cinquième album en carrière. On peut dire qu’il a le sens du timing! En effet, quoi de mieux qu’un spectacle lors de l’évènement le plus regardé au monde pour faire décoller les ventes?

Dès l’annonce du nom de l’album, les spéculations allaient bon train: Justin allait-il revenir à ses racines du Tennessee, où il a grandi, pour nous offrir un album entièrement country ou encore folk? Des titres comme «Montana» aidaient d’ailleurs à renforcer cette idée. L’album était présenté comme «americana avec une touche de 808s» (une boîte à rythmes électronique souvent utilisée dans la musique pop). Rien de moins. Or, l’arrivée de «Filthy», le premier extrait, a vite fait déchanter: il y a, dans ce Man of the Woods, bien peu d’Americana. Et on reste encore plus près de Michael Jackson que de Willie Nelson…

Une chose est cependant certaine: Timberlake a mis au rancart son veston-cravate et son côté crooner des années 1950 qui guidaient son inégal album double The 20-20 Experience. Cependant, on est plus près de la pop R&B conventionnelle, saupoudrée de moments folk et americana dans les arrangements, que d’un véritable enregistrement composé en reclus dans la forêt.

Ce n’est certainement pas en confiant les commandes à ses fidèles collaborateurs Timbaland et The Neptunes (le duo formé de Pharrell Williams et Chad Hugo) que Timberlake allait véritablement changer de trajectoire. Le premier tiers de l’album ne nous offre rien de bien innovant: «Filthy» sonne comme une pièce inachevée de FutureSex/LoveSounds (l’excellent deuxième album de Justin Timberlake paru il y a douze ans), tandis que «Midnight Summer Jam» est une production typique de Pharrell Williams et funky à souhait. Sa finale à l’harmonica vient toutefois donner à la proposition ses premiers élans d’americana (et le premier moment appréciable de la proposition). Le côté «gars de bois» de Justin ressort sur la pièce-titre où il nous parle de ses racines au Tennessee.

Cependant, l’ensemble du morceau reste bien timide. Et on se rend compte rapidement à quel point l’album manque quelque peu de substance.

En effet, le propos s’essouffle rapidement; Justin nous parle de son enfance, de sa conjointe (l’actrice Jessica Biel) et, surtout, de son fils, Silas, qui occupe une bonne partie des textes. Tout cela serait justifiable si ceux-ci allaient plus loin dans l’émotion ou dans le propos. L’album se termine sur «Young Men», une pièce bien sentie où l’artiste donne des conseils de vie à son fils Silas, qu’on entend en compagnie de sa mère Jessica Biel. Le tout reste cependant plutôt timide et n’insuffle pas à l’album un côté sentimental bien assumé. On reste souvent en surplace et Justin nous ressort périodiquement des références sexuelles (notamment sur «Sauce») pour rester dans la tendance actuelle.

Parlant de tendances, on a l’impression que Justin s’est un peu perdu en chemin lors de son pèlerinage en forêt. Il semble toujours naviguer entre le chemin sinueux de la remise en question artistique et celui, plus facile, de recycler ce que les autres font déjà.

On en a un excellent exemple lors de «Supplies», le deuxième single, et son refrain aux relents de trap à la Migos, qui co-existe avec des instruments à cordes plus orientés vers le folk. C’est parfois intéressant, mais on a davantage affaire à une collection disparate de pièces inégales qu’à un album cohérent où on prend des risques.

Heureusement, cette fois-ci, Justin évite le piège de The 20-20 Experience où les pièces traînaient inutilement en longueur. Il n’y a pas ici de moments véritablement interminables, outre peut-être la gênante «Flannel», une imbuvable comptine pour enfants qui ne cadre pas du tout dans la proposition. Au moins il y a des moments appréciables comme «Say Something», chantée en duo avec le chanteur country Chris Stapleton, un excellent mélange d’americana et de pop. Idem pour «Montana», le meilleur morceau de l’album, qui navigue habilement entre le jazz, le funk et le côté plus roots de la musique américaine.

À l’aide d’un catalogue musical riche et de son talent, Justin Timberlake possède tout ce qu’il faut pour poursuivre sa route avec succès en remplissant des stades, en jouant ardemment dans les radios commerciales et en restant en première page des magazines people. Ce n’est cependant pas ce Man of the Woods qui va lui permettre de passer au niveau supérieur: celui d’artiste avant-gardiste.

Ce côté «homme des bois» est au final bien plus une parure, savamment calculée, qu’une véritable orientation artistique.

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