Ani DiFranco au Théâtre Maisonneuve lors du Festival International de Jazz de Montréal 2018 – Bible urbaine

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Ani DiFranco au Théâtre Maisonneuve lors du Festival International de Jazz de Montréal 2018

Ani DiFranco au Théâtre Maisonneuve lors du Festival International de Jazz de Montréal 2018

La guitare sur le bout des doigts

Publié le 5 juillet 2018 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : G M D Three

L’Américaine d’origine italienne – mais aussi canadienne, l’a-t-on appris mercredi! – Ani DiFranco est-elle une guitariste? Une parolière? Une chanteuse? À la suite de son spectacle qui se tenait mercredi soir à l’occasion du Festival International de Jazz de Montréal, nul ne pourrait trancher, tant la preuve fut faite: elle excelle dans les trois. Il faut tant la voir que l’entendre, et il faut porter attention tant à ses magnifiques constructions mélodiques à la guitare qu’à ses propos pour pleinement apprécier cette artiste qui mériterait largement d’être entendue par davantage de gens qu’un simple parterre de Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts.

D’abord, elle nous a avoué avoir soigneusement choisi la chanson pour débuter son concert: une qui parle de chaleur. Ensuite, elle nous a félicités pour notre «beau pays» et a tenu quelques propos politiques à l’opinion et aux sous-entendus plutôt clairs quant à son appréciation de la politique dans son pays. Elle nous a aussi parlé de sa nervosité de savoir sa mère – une Montréalaise! – dans la salle, et de ses ambitions de remplir la paperasse pour obtenir la citoyenneté canadienne, à laquelle elle aurait droit en raison de son côté maternel. Bref, Ani DiFranco s’est grandement ouverte à son public, mercredi soir, qui découvrit rapidement une artiste terre-à-terre, sympathique et absolument charmante.

Mais davantage que dans ses nombreuses interventions parlées entre ses numéros, c’est dans les propos de ses chansons qu’Ani DiFranco se révèle. Qu’elle chante à propos du surplus d’information qui nous assaille en permanence, de la religion, de la politique, des droits entourant la liberté de reproduction, du bonheur ou simplement de la Nouvelle-Orléans, où elle habite depuis quinze ans, la chanteuse exprime de nombreuses opinions sur des sujets tant politiques que sociaux, et n’hésite pas à signer des textes qu’on sent autobiographiques. D’ailleurs, ses chansons ne reposent pas sur des refrains répétés ad nauseam: elle a sacrément du contenu et ses chansons ont énormément de paroles!

Comment fait-elle pour chanter avec autant d’intensité et de nuances, alternant entre de puissantes envolées, des doux passages en voix de tête et des numéros très saccadés et au phrasé rapide, presque comme «parlés», tout en maintenant une mélodie en fingerpicking aussi complexe et joliment construite?

Malgré la puissance et la polyvalence de sa voix, DiFranco apparaît autant sinon plus comme une musicienne que comme une chanteuse. Pour comprendre, il n’y a qu’à voir la vigueur avec laquelle elle pince les cordes de sa guitare et son allure décontractée, ses petits pas de danse en jouant, comme si cet instrument était un simple prolongement de ses bras, un outil qu’elle connaît littéralement sur le bout de ses doigts.

Vraie virtuose de la guitare, elle va elle-même jusqu’à lancer «Are you counting my guitars? Are you impressed?», après quelque cinq chansons et autant  de changements d’instruments. Ses nombreuses guitares, changées presque à chaque numéro, sont toutes accordées de façon différente, ce qui lui permet tantôt de chanter dans un différent registre, tantôt d’adopter un style de jeu varié et, dans tous les cas, d’impressionner. Car même après presque deux heures de spectacle, on n’en revient toujours pas de son talent d’instrumentiste, de sa dextérité et de son habileté à faire résonner différentes sonorités, mais aussi de ses capacités de compositrice. Car ses mélodies sont toutes plus jolies les unes que les autres, et lorsqu’on entend ici des notes harmoniques, et là, des enchaînements d’accords qui ne semblent exister nulle part ailleurs, on les devine d’une rare complexité.

Et même lorsqu’un trou de mémoire lui donne du fil à retordre pour retrouver les accords, puis les paroles de «Happy All the Time» et oblige une personne du public à lui crier sa première phrase, Ani DiFranco  ne perd aucune once de son charme; son authenticité et sa simplicité sont presque aussi belles à voir que sa musique à écouter. C’est d’ailleurs dans le silence le plus complet, presque pendu à ses lèvres, que le public écouta la ballade «Reckoning», débutant avec DiFranco seule à la douce guitare et à la voix; un beau moment de la soirée.

C’est effectivement avant tout pour ses chansons que le public est venu, et il ne semble pas avoir été déçu, applaudissant rapidement dès les premières notes de «Not a Pretty Girl» ou de «As Is», et allant jusqu’à se masser à l’avant de la salle, au rappel durant «Both Hands», afin de danser. Les gens se sont d’ailleurs levés très rapidement et spontanément, dès la fin de «Binary» qui sonnait la «fin» (avant-rappel!) du concert, et durant laquelle DiFranco laissa des moments de solos à son batteur et à son contrebassiste. Jusqu’à la toute fin, les trois musiciens auront fait montre d’une grande énergie, mais il était pourtant difficile de remarquer toute autre chose que la captivante et envoûtante Ani DiFranco.

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