«Une bête sur la lune» dans une mise en scène d’Amélie Bergeron au Théâtre La Bordée – Bible urbaine

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«Une bête sur la lune» dans une mise en scène d’Amélie Bergeron au Théâtre La Bordée

«Une bête sur la lune» dans une mise en scène d’Amélie Bergeron au Théâtre La Bordée

De la guerre historique à la guerre intérieure

Publié le 11 mars 2018 par Catherine Lagacé Mc Maniman

Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

C’est avec réalisme et empathie qu’est présentée la pièce Une bête sur la lune de l’auteur américain Richard Kalinoski, dans une mise en scène d’Amélie Bergeron, au Théâtre La Bordée. On assiste à l’évolution sinueuse de la relation amoureuse de deux rescapés du génocide arménien qui se trouvent confrontés à un mode de vie qui leur est complètement nouveau: celui des États-Unis, où ils refont leur vie, petit à petit. Alors qu’Aram, l’homme de la maison, semble plonger corps et âme dans cette culture (ne reste qu’à savoir ce que cette vigueur cache), Seta, sa femme, nous montre que, là-bas, elle se sent plutôt, justement, comme une «bête sur la lune».

Il est difficile de ne pas songer à certains enjeux actuels lorsqu’on assiste à l’adaptation des personnages d’Aram et de Seta à leur nouveau pays. Les questions d’accueil des immigrants et de contacts entre les différentes cultures sont bien loin de résonner pour la première fois dans nos oreilles. Cependant, c’est surtout dans le passé douloureux des protagonistes que réside toute la profondeur psychologique de la pièce: quand la guerre nous a arraché tous nos proches, comment nous reconstruire? Quand notre passé nous évoque à la fois des horreurs et de doux souvenirs, comment faire le tri entre ce dont on doit se débarrasser et ce qu’on doit garder? Une bête sur la lune nous présente ces questionnements de manière assez crue, mais très vraie.

Bien que le couple arménien ait été sauvé de justesse de la guerre qui minait son pays, une autre guerre tout aussi féroce l’attend: c’en est une chargée de combats individuels, intérieurs. Aram, pour qui avoir des enfants est une manière illusoire de combler la carence familiale qui le poursuit, sera forcé de constater l’impossibilité de son projet. Seta, elle, aspire à un mode de vie tourné vers l’avenir et la découverte, mais sera confrontée aux valeurs excessivement traditionnelles et conventionnelles de son mari. Chacun vit, donc, isolément, une guerre personnelle. Une guerre qu’ils ne gagneraient qu’à vivre ensemble plutôt que chacun de leur côté.

Le flagrant réalisme qui encadre la pièce et qui est visible dans tous ses pans (décor, jeu des acteurs, mise en scène, etc.) a malheureusement semblé un choix trop rapidement arrêté. Certes, le réalisme peut très bien servir un propos qui est dur par sa simple exposition de la vérité. Il nous a néanmoins semblé, dans ce cas-ci, qu’une exploitation visuelle, symbolique ou poétique accrue de certains objets lourds d’importance (comme la fameuse poupée de Seta, qui n’est rien de moins que le symbole de sa naïveté et de son enfance) aurait peut-être enrichi la pièce. La metteuse en scène Amélie Bergeron, avec ce texte qui possède pourtant un potentiel symbolique important, aurait gagné à faire davantage preuve d’audace – quitte à s’éloigner de temps en temps du réalisme – pour stimuler davantage l’imaginaire du spectateur, et ce, sans forcément dénaturer la cruauté du propos du texte.

La profondeur et la complexité psychologique des personnages ont été brillamment rendues sur scène par les comédiens. Leurs échanges, parfois remplis d’hésitations, d’autres fois de colère et d’autorité, puis, au final, d’empathie, sont très souvent captivants et suscitent en nous une certaine fierté de les voir évoluer. C’est particulièrement le cas du personnage de Seta, joué par Ariane Bellavance-Fafard, qui passe, le temps d’une pièce, d’un grand état de fragilité et de vulnérabilité à un état de solidité et d’affirmation devant son mari. Cette évolution, bâtie à coups de petits actes de rébellion et de questionnements directs à son époux, fut remarquablement montrée par la comédienne: c’est avec de fines nuances et gradation qu’elle fait grandir Seta. Aussi, mention très spéciale à Rosalie Daoust, qui, dans son personnage de Vincent, nous fait croire dur comme fer qu’un vrai petit garçon se tient sur scène, devant nos yeux. L’aplomb, la confiance et la vivacité dont la comédienne fait preuve rendent son personnage crédible d’un bout à l’autre de la pièce.

Une dysfonction ne peut toutefois être passée sous silence: l’espace est mal exploité. Ce dernier est meublé, sur la moitié de la scène, par des murs tapissés de motifs vieillots qui n’offrent que des couloirs pour que les comédiens circulent, et lorsqu’ils le font, ils ne sont que très peu visibles. L’action se trouve donc contrainte à se dérouler, en grande partie, sur l’autre moitié de la scène, représentant la salle à manger, où l’espace est plus ouvert. Cela a comme résultat que les comédiens jouent sensiblement toujours au même endroit. Ainsi, l’état statique du décor rend le jeu des comédiens, lui aussi, en partie statique. Notons également que l’étage du haut, tristement, n’est quasiment pas exploité.

Cela n’empêche certainement pas qu’Une bête sur la lune soit une histoire touchante et importante, et ce, particulièrement grâce à sa charge psychologique riche et à ses questionnements actuels. Se mettre dans les bottines de nouveaux arrivants, ce n’est pas tous les jours que cela arrive. Cependant, cette pièce sensible nous permet de le faire, ce qui ne peut qu’exercer notre empathie, notre compréhension et notre tolérance.

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Par Nicola-Frank Vachon

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