«Bonne retraite, Jocelyne» de Fabien Cloutier au Théâtre La Licorne – Bible urbaine

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«Bonne retraite, Jocelyne» de Fabien Cloutier au Théâtre La Licorne

«Bonne retraite, Jocelyne» de Fabien Cloutier au Théâtre La Licorne

La famille dans son milieu naturel

Publié le 23 octobre 2018 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Suzane O'Neill

Ma chère Jocelyne, c’est à ton tour de te laisser parler d’amour, s’est fait chanter Jocelyne par ses collègues lorsqu’elle a quitté le bureau, un vendredi après-midi, pour ne plus y revenir. La Jocelyne de Bonne retraite, Jocelyne, la nouvelle création de Fabien Cloutier présentée au Théâtre La Licorne, a décidé sur un coup de tête de prendre sa retraite, et elle invite sa famille pour lui annoncer la bonne nouvelle et célébrer sa nouvelle vie. Mais finalement, elle ne se fera pas beaucoup parler d’amour, notre chère Jocelyne.

Entre les prises de position de ses deux filles sur l’environnement et la sauvegarde des animaux, les pointes de jalousie de sa sœur Brigitte, la peine d’amour de son neveu, les complexes d’infériorité de son frère et de sa belle-sœur, les tentatives de médiation de son beau-frère et les difficultés de suivre les sujets de conversation de son autre frère, Jocelyne n’obtient finalement pas l’attention qu’elle aurait souhaitée pour annoncer son changement de vie. Dans cette partition pour neuf comédiens, la scène est aussi encombrée que l’air, chargé de tensions, de tabous et de non-dits.

Bien sûr, ça fait beaucoup de personnages à gérer, et ils ne nous semblent pas toujours utiles, bien qu’ils soient tous en permanence sur scène, même s’ils finissent par tous devenir forts à leur façon. Néanmoins, Fabien Cloutier est un observateur si fin des gens qui l’entourent, il construit des personnages si réels en plus de leur donner une partition rythmée au quart de tour et d’une fluidité impressionnante, qu’il est impossible de ne pas reconnaître cette famille. Qu’elle représente sa propre famille, celle d’un ami ou une de son quartier, la famille de Jocelyne est d’une grande crédibilité, et cela ne la rend que plus attachante encore.

Dans son décor qu’on dirait inspiré de Survivor où trône un grand palmier, la famille s’aime, bien sûr, mais avec difficulté, semble-t-il. Dès le début, il est possible de constater toutes les rivalités et animosités sous-jacentes entre les différents membres de la fratrie ou de la famille élargie, mais aussi les caractères de chacun, tandis qu’ils jouent à un jeu de devinettes en deux équipes se confrontant. Efficace entrée en matière, aussi dynamique qu’accrocheuse, ce jeu place vite les bases de toutes les conversations qui suivront: qu’elles abordent les voyages dans le Sud, le traitement des Aînés ou des animaux, la retraite, l’argent, la carrière ou les «B.S.», elles finiront toutes en montant le ton et en cacophonie générale, alors que tout le monde s’en mêle.

Impossible de ne pas faire le parallèle entre Bonne retraite, Jocelyne et Ennemi public, la création d’Olivier Choinière présentée en 2015 au Théâtre d’Aujourd’hui, qui présentait aussi une famille qui se parlait sans s’écouter véritablement, et qui elle aussi faisait ressortir bon nombre de clichés et de discours populaires, de préjugés et d’idées préconçues. Les deux pièces jouent sur une certaine provocation et utilisent l’humour pour mieux faire passer ces opinions véhiculées, ce miroir cru – voire cruel – de notre société. Mais là où Fabien Cloutier se démarque et excelle, c’est dans la création de moments de malaises tels qu’ils sont presque jouissifs. Ce sentiment de sentir une salle entière se recaler dans son siège et écarquiller les yeux – à deux reprises plutôt qu’une –, on l’a rarement senti aussi fortement.

Le départ était donc comme un coup de canon: on était excités du réalisme de la situation et des personnages, mais aussi du langage et des relations complexes qui se déployaient sous nos yeux. Puis, c’est devenu un peu long, et on a été presque déçus que Jocelyne arrive en fin de compte assez vite à annoncer sa nouvelle à sa famille. Il n’y a pas eu de punch, et c’est bien ce qui est triste pour Jocelyne, mais aussi pour le spectateur, qui peine à se raccrocher à cette succession de discordes et de conflits mal gérés…jusqu’au malaise. L’intérêt remontant alors en flèche, on se demande malgré tout ce qui ressort du lot et de la proposition.

Car à force de tirer dans tous les sens et de faire passer ses personnages d’un sujet à l’autre, il n’y a finalement que bien peu de profondeur dans la façon d’aborder lesdits sujets, et il est difficile d’en faire ressortir un ou deux dont la façon de les aborder nous aurait particulièrement interpellés. Jocelyne parle d’un fort désir de vivre sa vie, mais pour vivre quoi? Même elle ne comprend pas le sens de tout ça.

C’est donc de façon détachée, en observateur plus ou moins impliqué, qu’on finit par visiter cette famille, comme derrière la vitre de l’environnement faussement naturel du zoo où travaille Keven, le neveu de Jocelyne, dans lequel ces spécimens d’êtres humains se laissent aller à toute leur bestialité, tout en ayant néanmoins un fort sens de la tribu.

«Bonne retraite, Jocelyne» de Fabien Cloutier en 6 photos

Par Suzane O'Neill

  • «Bonne retraite, Jocelyne» de Fabien Cloutier au Théâtre La Licorne
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