«La Campagne» de Martin Crimp au Théâtre Prospero – Bible urbaine

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«La Campagne» de Martin Crimp au Théâtre Prospero

«La Campagne» de Martin Crimp au Théâtre Prospero

Confrontations tamisées

Publié le 12 octobre 2016 par Pierre-Alexandre Buisson

Crédit photo : Matthew Fournier

Intérieur, nuit. Une maison campagnarde où règne le silence, interrompu par des bruits de ciseaux qui découpent du papier. Une femme assise à une table, dos au public.

La sensation de déroute totale dans laquelle nous plonge cette pièce, dès son prologue, est difficilement égalée. Rarement aura-t-on vu une scène aussi nue: on y retrouve, outre la table et une chaise, un cadre faisant office de fenêtre, qui nous laisse deviner une nuit campagnarde paisible, mais étouffante. La pénombre est telle que les visages des comédiens sont invisibles. Ils chuchotent, et leur voix amplifiée par un micro a quelque chose d’irréel, créant un saisissant effet de décalage.

Richard, médecin de campagne, a ramené une jeune femme endormie à la maison, après que ses enfants aient été couchés par sa femme. Il dit l’avoir trouvée inconsciente sur le bord de la route. Sa femme, Corinne, le presse de questions, et il se tortille comme une vipère malaisée, l’abreuvant d’improbables mensonges, changeant sans cesse sa version des faits.

La pièce est une série de trois confrontations qui se déroulent dans la même pièce, avec seulement trois personnages, mais malgré la simplicité du concept, on se retrouve pendu aux lèvres des acteurs et investi d’un léger malaise, un peu comme si le souffle nous manquait. Les dialogues très précis de Martin Crimp obtiennent justice dans une excellente traduction de Guillaume Corbeil.

La forme très sobre est entièrement au service du texte et de ses thèmes – du théâtre qui questionne la théâtralité, les petites mises en scène de la vie quotidienne, la mythomanie égoïste de l’adultère. Richard, interprété avec justesse et subtilité par Justin Laramée (lui aussi auteur, donc particulièrement à l’écoute de la musicalité des mots) réussit à devenir répugnant aux yeux du spectateur, avec ses manipulations et ses leçons de morale. Rebecca (Victoria Diamond) arrive sur scène tardivement, mais quelle présence! Et toutes les nuances de l’abnégation de la femme trompée passent dans la voix de Delphine Bienvenu, qu’on distingue à peine dans la noirceur, mais qui réfute systématiquement les arguments surréalistes de son partenaire.

L’ambiance à couper au couteau instaurée par la combinaison des interprétations très solides et du texte précis de Crimp nous donne une pièce intimiste, une fenêtre sur une nuit décisive dans la vie d’un couple instable, et on se sent presque comme des voyeurs assis dans le noir, retenant notre souffle. Jérémie Niel, dans cette mise en scène audacieuse et sans compromis, parfois déroutante, nous fait vivre un moment aussi singulier qu’enrichissant.

Une indiscutable réussite.

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Par Matthew Fournier

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