«Comment s’occuper de bébé» de Sylvain Bélanger au Théâtre La Licorne – Bible urbaine

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«Comment s’occuper de bébé» de Sylvain Bélanger au Théâtre La Licorne

«Comment s’occuper de bébé» de Sylvain Bélanger au Théâtre La Licorne

Comment distinguer la vérité de l’hypocrisie?

Publié le 6 mars 2014 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Yanick Macdonald

Il y a la vérité et il y a ce qu’on croit être la vérité. Telle est la prémisse de cette pièce de Dennis Kelly, produite par le Théâtre du Grand Jour, et présentée au Théâtre La Licorne jusqu’au 22 mars. Dans un tourbillon de témoignages et de tranches de vie témoignant de l’importance du «bien paraître», Evelyne Brochu et Josée Deschênes, entourées d’une dizaine d’autres comédiens, ne réussissent pas à prouver l’innocence ni la culpabilité de Donna McAuliffe, mais démontrent sans l’ombre d’un doute qu’elle n’est pas apte à s’occuper de bébé.

Série d’entrevues captées sur caméra par un journaliste d’enquête désireux de lever le voile sur cette histoire qui a déjà été amplement médiatisée, Comment s’occuper de bébé offre un retour sur les évènements qui ont mené Donna McAuliffe (Evelyne Brochu) jusqu’en Cour d’appel, avant d’être jugée non-coupable du meurtre de ses deux enfants. Megan avait cinq ans; Jake en avait trois, et ils sont morts à peine à quelques mois d’intervalle. Mais après seulement quelques mois de prison, Donna est ressortie du Palais de justice sans menottes. Pourtant, la question reviendra: «Donna devrait-elle aller en prison ou dans un hôpital?»

C’est que le docteur Millard (Richard Thériault), psychiatre, a diagnostiqué chez Donna le syndrome de Leeman-Ketley, une forme aiguë d’empathie pour les malheurs et les problèmes de la terre entière. Une empathie si profonde que la personne atteinte ira jusqu’à s’en prendre aux personnes qu’elle aime le plus, ses enfants, afin d’apaiser sa propre souffrance. Lorsqu’il acceptera finalement de témoigner, le mari de Donna, Martin McAuliffe (Hubert Proulx), expliquera d’ailleurs qu’en pleurant, sa femme posait parfois des questions comme «Comment veux-tu que je me calme quand ça prend des milliards d’années pour produire une goutte de pétrole mais juste une seconde pour la brûler?» Le diagnostic semblait épouser parfaitement le cas de Donna, pourtant, les nombreux propos recueillis par le journaliste pourraient remettre en question sa supposée maladie.

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Car le syndrome Leeman-Ketley suppose que Donna a bel et bien commis l’acte répréhensible. A-t-elle tué ses deux enfants ou non? Lynn Barrie (Josée Deschênes), sa mère, a-t-elle bien fait de la supporter et de la défendre corps et âme même publiquement, durant ses campagnes électorales, ce qui a terni son image et lui a fait perdre sa place au sein du parti des travailleurs et des travailleuses? Bien sûr, qu’elle a bien fait, puisqu’elle put ensuite jouer avec le capital de sympathie des gens en utilisant la maladie de sa fille, dont elle n’accepta le diagnostic qu’en discours électoral. Autrement, pourquoi avoir mené la cause en appel pour prouver l’innocence plutôt que la maladie?

Si les thématiques abordées dans Comment s’occuper de bébé portent à une réflexion profonde, la mise en scène de Sylvain Bélanger a somme toute réussi à apporter un équilibre. En entrecoupant le récit des souvenirs dramatiques de Donna à l’aide de vidéos d’entrevues qui se veulent des témoignages déjà enregistrés par le journaliste ou encore de porte-à-porte où on voit Lynn Barrie rencontrer ses citoyens, on ne manque pas de faire rire. C’est d’ailleurs dans ces extraits qu’on retrouve, entre autres, Henri Chassé, Sébastien Rajotte, Lise Roy et Luc Senay, ce dernier en journaliste vulgaire aux répliques franches et déplacées.

Pourtant, une lourdeur se dégage de cette pièce pour diverses raisons, à commencer par cette voix plaintive et mal assurée qu’emploie Evelyne Brochu pour interpréter Donna McAuliffe, en lançant ses nombreuses phrases sans conclusion, se terminant en suspension. Si on comprend que la femme a vécu un traumatisme, que sa vie est loin d’avoir été facile et qu’elle ne semble pas mesurer l’importance de ce témoignage qu’elle en train de livrer sur caméra, cela ne semblait pas nécessaire de lui donner une voix si enfantine, qui a au moins le mérite d’être constante du début à la fin. Seul bémol au niveau du jeu, puisque les comédiens sont tous remarquables autant dans les vidéos que sur scène.

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Et cet interrogatoire que subissent les différents témoins de la déchéance de Donna? Pourquoi ne pas avoir véritablement campé le journaliste et sa caméra sur scène, plutôt que de diffuser quelques entretiens par projecteur ou sur petit écran, et d’autres en direct, sur scène? La voix hors-champ réussit bien à installer le contexte d’entrevue, mais si le journaliste affirme à Martin que ses réponses uniquement en «oui» et en «non» auraient l’air fou puisqu’il retirerait du montage ses propres questions, c’est exactement l’effet produit, lorsque, à certains moments, la voix s’éteint et que Donna s’affaire à répondre à des questions que le public n’entend pas.

Il y a aussi ce manque de continuité, de cohérence, entre les entrevues filmées et celles jouées, alors que les comédiens jouent une même rencontre à la fois sur grand écran et sur scène, une réplique réelle suivie d’une enregistrée, afin de démontrer que l’entretien a dans les faits été filmé, mais sans uniquement diffuser un film au théâtre. C’est Richard Thériault qui a fait en sorte qu’on remette en doute l’utilisation de ce procédé, s’emportant sur scène en psychologue qui tente de défendre son diagnostic, alors que le médecin sur vidéo était plutôt posé. L’emploi du multimédia aura toutefois été davantage intéressant que dérangeant, permettant de découvrir plusieurs intervenants à l’histoire, de suivre Lynn Barrie dans son quotidien, et même de voir la belle complicité entre Donna et sa mère, lors d’un montage suivant la magnifique «The Sound of Silence», de Simon and Garfunkel.

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Il y a donc de ces détails qui accrochent et qui questionnent, mais rien pour nous questionner autant que les thématiques de vérité versus l’hypocrisie, de la sincérité et du bien-paraître. De toute façon, comme Martin McAuliffe le dit si bien: «C’est fascinant comme on peut décider de ne rien voir». Et au fond, est-ce vraiment important que Donna ait tué ou non ses enfants? Après tout, elle a été acquittée, les apparences sont donc sauvées.

La pièce «Comment s’occuper de bébé», écrite par Dennis Kelly et mise en scène par Sylvain Bélanger, sera présentée au Théâtre La Licorne jusqu’au 22 mars prochain. Pour acheter vos billets ou pour obtenir davantage d’informations, consultez le www.theatrelalicorne.com.

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