«Orange mécanique», mise en scène par Véronique Marcotte, à L’Olympia de Montréal – Bible urbaine

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«Orange mécanique», mise en scène par Véronique Marcotte, à L’Olympia de Montréal

«Orange mécanique», mise en scène par Véronique Marcotte, à L’Olympia de Montréal

L’histoire en accéléré

Publié le 15 février 2013 par Éric Dumais

Crédit photo : Tandem.mu

Alors qu’Alex, interprété par Malcolm McDowell dans l’adaptation cinématographique de Stanley Kubrick en 1971, nous crachait au visage ses méfaits les plus pervers, c’est à un drôle de revirement de situation que nous avons eu droit hier soir à L’Olympia, alors que le comédien Roger La Rue manipulait les rênes de la narration d’Orange mécanique comme un marionnettiste sa marionnette.

C’est en réalité un narrateur sobre, la cigarette au bec, qui nous a partagé les grandes lignes de la pièce pendant près de 105 minutes. D’emblée, cette façon de faire jongler la narration du protagoniste à un personnage autodiégétique, élément stylistique mis de l’avant dans l’œuvre avant-gardiste Paradis perdu (2010) de Dominique Champagne, nous a vite démontré que le point de vue allait être bien différent que celui mis de l’avant par le célèbre cinéaste, qui a longtemps hanté nos nuits avec The Shining. Si on se souvient bien, en effet, le jeune McDowell, qui jouait l’abominable Alex (joué ici par l’expressif Maxime Le Flaguais), s’adressait directement au spectateur, le rendant par le fait même complice et témoin de ses actes de violence.

Mise en scène par Véronique Marcotte, avec comme directeur artistique le très articulé Denis Bouchard, la pièce Orange mécanique a été transposée sur scène le plus fidèlement possible, avec cette qualité indispensable et satisfaisante d’être la version accélérée du film de Kubrick, qui multipliait au grand écran les longueurs au grand dam du spectateur. Hier soir, on nous a, de fait, présenté une version abrégée et entrecoupée d’un entracte de 20 minutes, dont les ellipses ont eu pour effet de nous permettre une digestion plus lente et modérée d’une œuvre à la base lourde pour l’estomac.

Ici, Alex est présenté en compagnie de Momo et Joe, ses deux drougs, ses deux potes et ses deux complices en affaires, qui multiplient les rires démoniaques au rythme de leurs méfaits. Très rapidement, les trois adolescents, guidés par leur maître Alex qui snife continuellement de la coke, (stéréotype du jeune drogué irrécupérable), cassent rapidement la glace en déversant tout leur fiel sur le corps engourdi d’un vieil ivrogne (interprété avec brio par un Sylvain Marcel fidèle à lui-même), se plaignant, se tordant et grimaçant plus les coups pleuvent.

Puis, le vieil ivrogne, laissé en plan, blessé et meurtri, s’est relevé péniblement avec l’aide du narrateur, qui se tient dans l’ombre toujours non loin de l’action, puis enfile une seconde peau pour jouer un second personnage, cette fois-ci un intellectuel dont la pauvre femme connaîtra les pires souffrances dans une scène de viol collectif frôlant les dix minutes. L’émotion est ressentie au quintuple, surtout que la nudité totale de la femme (interprétée avec intensité par Marianne Thomas), nous force à contempler ses courbes parfaites pendant qu’elle tournoie, tombe à la renverse, et se fait basculer par ses trois brutes immondes et voraces sur un large sofa.

Orange mécanique est loin d’être un conte de fées; c’est un théâtre de l’horreur et de la violence dont la cruauté, imaginée par Anthony Burgess en 1962, et reprise neuf ans plus tard par Stanley Kubrick, n’a aucunement été épargnée ou allégée. Il est vrai qu’à certains moments des tics nerveux ou des expressions figées jusqu’à la farce nous ont permis de réaliser que toute cette mise en scène n’était que pure imagination de notre part, ce qui a prouvé également que la distribution jouait serré et pas à peu près.

Si Maxime Le Flaguais n’a pas toujours su rendre justice au talentueux Malcolm McDowell, imbattable dans le rôle de sa carrière, peut-être en raison de sa voix étouffée qui ne portait pas assez l’émotion à bout portant, et que l’infâme Ministre de l’Intérieur, remplacé ici par une Geneviève Langlois parfois inégale, dont le rôle était plus au service de l’humour et de la farce qu’au bourreau sans cœur, il faut néanmoins avoué que l’adaptation moderne (les costumes noirs avec un brin d’orangé, l’écran géant à l’arrière-plan, la musique électronique et l’exquise Neuvième symphonie de Beethoven) n’a aucunement enlevé tout le crédit à l’œuvre originale. Sauf qu’il manquait un seul élément: l’hypnotisante «Singin’ in the Rain», chanson écrite par Arthur Freed en 1929 et qui accompagne l’une des scènes les plus violentes du film.

Ainsi, fidèle à l’adaptation cinématographique, avec une multiplication d’ellipses pour couper dans le gras, la pièce Orange mécanique est le parfait équilibre pour plaire à ceux qui n’ont pas supporté l’affreux langage d’Anthony Burgess et les longueurs qui ont terni l’adaptation cinématographique de Kubrick.

À la fin, on n’a toujours pas l’impression que la science a réussi à remettre le protagoniste sur le droit chemin, mais on est au moins sûr d’une chose: Alex restera pour toujours un être étrange, inhabituel, bref, une orange mécanique.

La pièce Orange mécanique est présentée à L’Olympia de Montréal du 13 au 16 février et les 8 et 9 mars, du 20 au 23 février à L’Impérial de Québec, les 12 et 13 avril au Casino du Lac-Leamy de Gatineau et le 24 avril à la Salle Maurice O’Bready de Sherbrooke. Pour plus d’information, visitez le site officiel au www.orangemecanique.ca.

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