«Cuisiner avec Elvis» de Lee Hall au Théâtre La Licorne

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«Cuisiner avec Elvis» de Lee Hall au Théâtre La Licorne

«Cuisiner avec Elvis» de Lee Hall au Théâtre La Licorne

Rire ou mordre à pleines dents dans la souffrance humaine

Publié le 15 avril 2015 par Marie-Hélène Proulx

Crédit photo : Yvan Bienvenue

Probablement que tous les soirs, jusqu'au 8 mai, la pièce se finira par les remerciements d'un faux Elvis pour son «merveilleux public». En ce 14 avril toutefois, ce public a su mériter le compliment puisque l'on a entendu les murs de La Licorne résonner de rires à s'en frapper les cuisses à plusieurs reprises. Pourtant, des soirs comme celui-ci, le fait d'entendre rire a surtout laissé un lourd sentiment de malaise. Ce n'est pas de craindre d'avoir passé à côté de la farce qui a fait grincer des dents. Celle-là, avec de grosses imitations du King, des cocus, des amants bébêtes, cachés derrière les rideaux, on ne pouvait pas la rater. Ce qui gêne est d'avoir vu rire d'un drame relégué au rang de prétexte.

Remarquons, Lee Hall n’est pas le seul à s’être amusé de l’insupportable, même le grand Molière ne s’en privait pas lorsqu’il a révélé L’École des femmes ou Tartuffe. Mais on pardonne tout à Molière, tant que ses comédies passent pour de la critique sociale déguisée. Et une critique sociale acerbe de la société américaine, c’est justement ce que promettait de présenter cette production de la troupe Urbi et Orbi. Beaucoup plus qu’aux rires, le thème aurait d’ailleurs pu donner lieu à la tragédie: un ancien homme de scène, devenu spectateur malgré lui, à cause de paralysie, de la débauche de la femme et de sa fille, par un même homme, sous son toit: difficile d’aller plus loin dans le drame.

Il est vaguement question d’une histoire d’amour violente et filant en ligne droite vers la rupture, juste avant l’accident qui a rendu le mari impotent. Mais entre ces différents coups du sort, les moments de rage, l’exhibitionnisme, de rares tendresses et de trop fréquentes ivresses de la fausse veuve joyeuse, les sources de la dureté de celle-ci demeurent confuses. Et l’humour qui l’entoure est si gras que l’on glisse sur ces eaux troubles sans jamais en toucher les profondeurs.

Cuisiner avec Elvis 2 - crédit Yvan Bienvenue

On finit donc par se centrer sur la rivalité qui se dessine à traits grossiers entre la mère et la fille pour un faiseur de gâteaux et des frustrations que chacun exprime par différents caprices alimentaires. Les acteurs démontrent quand même, par moment, un jeu caricatural qui rend la souffrance plus tolérable. Il faut dire que le texte les aide un peu, lorsqu’il impose au faux Elvis des répliques comme: «N’oubliez pas que tout cela, au fond, ce n’est que de l’art.». Espérons que cela en est, sinon, se moquer ainsi de l’anorexie et de la boulimie deviendrait plutôt douteux.

Néanmoins, la réussite d’une farce tient  aussi aux rythmes bien cadencés et aux interprétations qui la soutiennent et, sur ce point, il est vrai, le public a été gâté. La sensualité plutôt vulgaire qui émane du rôle de Sandrine Bisson est bien maîtrisée, quoiqu’elle ne soit pas vraiment nouvelle à son registre. Frédéric Lemay s’en tire bien aussi, malgré son personnage d’une totale insignifiance. Mais de tous, c’est la jeune Catherine Leblond parvient le mieux à briller par ce discours alimentaire absurde, comme d’autres le feraient avec un Ionesco.

C’est presque dommage qu’il faille en rire.

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