«Dans la solitude des champs de coton» au Carrefour international de théâtre – Bible urbaine

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«Dans la solitude des champs de coton» au Carrefour international de théâtre

«Dans la solitude des champs de coton» au Carrefour international de théâtre

Des ponts qui échouent à se jeter entre soi et l’autre

Publié le 27 mai 2018 par Maude Rodrigue

Crédit photo : Jean-François Hétu

Après une série de représentations à Montréal et à Ottawa, Hugues Frenette et Sébastien Ricard reprennent la pièce Dans la solitude des champs de coton dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec. Les représentations se tiennent à la Caserne Dalhousie du 24 au 27 mai 2018. Immédiatement après la première représentation, les deux interprètes, flanqués de Brigitte Haentjens, metteure en scène émérite, de Jean Gaudreault, assistant à la mise en scène, et de Marie Gignac, directrice du Carrefour, se sont adressés à un auditoire sonné mais néanmoins conquis. Comme Bible urbaine a consacré une critique à la pièce en janvier dernier, le présent article porte plus particulièrement sur l'entretien qui a suivi la première représentation.

Le mystère opaque ne laisse filtrer que très peu de lumière sur l’objet de la transaction impliquant les deux partis en présence: un dealer (Hugues Frenette) et un acheteur (Sébastien Ricard). L’un et l’autre tentent alternativement de s’atteindre pendant la durée de la courte représentation (1h10).

Cherchant à obtenir quelque indice renseignant sur les motifs de la présence de l’autre de même que sur ses intentions, les hommes sont pourvus d’une animalité sauvage: ils se toisent, ils se reniflent, leurs regards sont soudés. Chacun est paré à bondir s’il perçoit le moindre soulèvement chez l’autre.

Le texte de Koltès a la densité d’une forêt d’arbres serrés à la tombée de la nuit. Abhorrant le naturalisme, des gestes et mouvements inusités s’y sont greffés: une main suspendue dans l’air, un bras maintenu dans une position peu naturelle, des pas qui tracent une trajectoire elliptique sur le sol. L’écriture de Koltès est, par ailleurs, «musicale, connectée à quelque chose de viscéral, d’organique», considère Haentjens.

Un mouvement «né du théâtre»

Pendant l’entretien qui a suivi la représentation, Brigitte Haentjens, «amie de Koltès et de Québec», a élaboré sur la gestuelle du spectacle. Un travail exploratoire reposant notamment sur l’improvisation a été effectué afin de parvenir à une «partition assez précise», et néanmoins «mystérieuse». Celle-ci s’est relativement cristallisée au fil des répétitions et des représentations.

Haentjens affirme avoir cherché «autre chose», c’est-à-dire qu’elle a cherché à s’éloigner vis-à-vis «le jeu quotidien, ce qu’on voit à la télé». Les comédiens auraient ainsi éventuellement développé leur «gestuelle propre» à travers un processus exploratoire – pour ainsi dire, en présence de deux autres comédiens, la gestuelle n’aurait eu rien à voir avec ce qu’elle est actuellement. À ce titre, Haentjens affirme que le «mouvement naît du théâtre, il est issu des mots, de l’inconscient des mots», à travers un processus pour le moins fumeux pour le spectateur peu expérimenté.

Le drame de l’incommunicabilité

Bien davantage que la lutte qu’ils se livrent, c’est le désir de rencontre qui est au cœur de la pièce. Selon Hugues Frenette, «celui-ci ne saurait se résumer à un rapport de force»: le «grand malheur consiste précisément en le fait que la rencontre convoitée ne survient pas». Or, une telle rencontre aurait eu le potentiel de générer de «multiples possibles».

Les personnages se butent ainsi à l’incommunicabilité; et comme il n’y a pas de rencontre, «il n’y a pas d’amour», résume Frenette. Il est d’avis que les rapports humains, unanimement complexes, sont également unanimement violents. D’ailleurs, Haentjens considère que l’amour est voué à une perpétuelle asymétrie. Alternativement, le dealer et l’acheteur s’adoucissent, puis se braquent, mais de manière toujours «disparate: il n’y a jamais d’égalité en amour», explique-t-elle. Les personnages affichent leur refus catégorique de «s’abandonner à l’autre et de s’exposer au danger que représente le fait de se révéler à l’autre», affirme Frenette.

Haentjens a daigné révéler, en outre, un pan de son interprétation personnelle du texte de Koltès: la pièce lui paraît illustrer également «l’idée d’une séparation». En effet, deux personnes peuvent en arriver à «se haïr de ne pas savoir se séparer» et de se révéler dépendantes l’une envers l’autre.

Une rencontre avec le public, le «troisième partenaire»

Enfin, la rencontre, si elle échoue à survenir entre les deux personnages, s’établit incontestablement avec le public, le «troisième partenaire» de cette lutte. Le public peut devenir «vorace», mentionne Haentjens, l’effet de la rencontre varie au gré de la composition de celui-ci. L’auditoire est d’ailleurs réparti de part et d’autre de l’arène dans laquelle s’affrontent les personnages, le texte «appelant une telle dualité». Les estrades se réfléchissent l’une contre l’autre, comme un «miroir de l’affrontement» illustre Marie Gignac, fort enthousiaste du fait que Dans la solitude des champs de coton figure dans la programmation de la 19e édition du Carrefour international de théâtre.

Enfin, Ricard a évoqué cette idée curieuse selon laquelle au théâtre, «le public est témoin de quelque chose de très fort, mais qui l’exclut». Le public a effectivement mesuré son impuissance face au drame auquel il a assisté, confiné à l’inertie inhérente à son rôle de spectateur devant la lutte acharnée que se sont livrée le dealer et l’acheteur.

Suivez le lien suivant pour lire la critique de notre collaboratrice Léa Coffineau publiée le 15 janvier dernier: labibleurbaine.com/solitude-champs-de-coton.

«Dans la solitude des champs de coton» en photos

Par Jean-François Hétu

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