«Dans l’envers du décor»: Gaspard Philippe, désigner multimédia en production théâtrale – Bible urbaine

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«Dans l’envers du décor»: Gaspard Philippe, désigner multimédia en production théâtrale

«Dans l’envers du décor»: Gaspard Philippe, désigner multimédia en production théâtrale

Une pluralité d'approches pour un quotidien tout sauf monotone!

Publié le 1 février 2021 par Vincent Gauthier

Crédit photo : Jordi Teres

Chaque mois, Bible urbaine s’entretient avec un artiste-concepteur du milieu théâtral afin d’en connaitre davantage sur les métiers de l'ombre nécessaires à la présentation d’une pièce de théâtre. On souhaite ainsi mettre en lumière le quotidien de ces artistes qui œuvrent avec passion dans l’envers du décor, et aussi faire découvrir ce qui fait l’unicité de leur travail. Aujourd’hui, on a poussé la curiosité jusqu'à interviewer Gaspard Philippe, un concepteur sonore, vidéo et lumière qui a une soif d'apprendre et une curiosité insatiable qui le pousse à explorer différentes avenues afin de constamment s'améliorer.

Gaspard, on aimerait que tu nous racontes comment tu as reçu l’appel pour le théâtre; comment est-il arrivé dans ta vie?

«Alors que je fréquentais le collège, un intérêt pour le théâtre s’est manifesté subitement! J’ai donc décidé de participer à la troupe du théâtre par curiosité (et aussi parce que mon amoureuse en faisait partie). Petit à petit, la passion pour ce milieu s’est développée. J’aimais ce sentiment de faire partie d’un groupe, de vivre des émotions ensemble, de sentir qu’avec la force du nombre, nous arrivions à émouvoir un public. À mon entrée au lycée (qui est l’équivalent du cégep), je me suis inscrit en orientation théâtre, ce qui m’a encore plus conforté dans mon désir de suivre cette voie de manière professionnelle.»

«Après avoir fini mes études, j’ai décidé de partir au Québec afin d’étudier dans ce domaine. Je me suis d’abord inscrit au programme de théâtre de l’Université Laval, puisque ce dernier proposait une formation assez générale. Finalement, après deux ans, j’ai remarqué que c’était vraiment la conception qui m’intéressait. J’ai donc postulé à l’École nationale de Théâtre du Canada où j’y ai suivi le programme de production, et je travaille dans le domaine depuis!»

En tant qu’artiste, tu touches aussi bien au son qu’à la vidéo, de même qu’à l’éclairage, en passant par la régie. Pourrais-tu dire que tu as une spécialisation – ou tout simplement une préférence – pour l’un de ces domaines? Parle-nous de ton approche pluridisciplinaire.

«En avançant dans ma formation, j’ai remarqué que j’aimais toucher à plus d’un domaine. De nature curieuse, j’ai toujours soif d’apprendre, d’expérimenter et de découvrir de nouvelles possibilités créatives. Bien qu’ayant une préférence pour la conception sonore, je travaille plus sur la création vidéo en ce moment. Avec le temps, je remarque que j’aime ce médium tout autant que le son. J’ai eu l’occasion de faire également un peu d’éclairage, une forme d’art que j’ai un peu plus de peine à maîtriser, mais qui est extrêmement passionnante.»

«De plus, en ayant des mandats différents au fil des productions, cela me permet de ne pas tomber dans une routine qui, je pense, m’ennuierait à la longue. Aussi, pour moi, ce n’est pas nécessairement le projet qui m’importe, mais surtout les êtres humains avec qui je travaille. Si je fais ce métier, c’est avant tout pour collaborer avec des personnes bienveillantes et inspirantes.»

«L’éclat de rire après une bière de première est tout aussi important que la portée dramaturgique de l’œuvre que nous venons de créer. Bien sûr, le projet artistique doit être stimulant et intéressant, mais je suis convaincu que c’est en travaillant dans une énergie positive et collaborative que se créent les projets les plus intéressants.»

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«La retraite», dans une mise en scène de Philippe Cyr, à l’École nationale de théâtre du Canada. Photo: Maxime Côté

Comment conçois-tu la musique et la vidéo des projets auxquels tu participes, et par quoi te laisses-tu inspirer dans le cadre de ton travail? Dis-nous quelles sont les plus grandes différences parmi tous les médiums que tu utilises!

«Pour moi, l’inspiration se manifeste partout. Que ce soit en regardant un film, ou en marchant dans la rue. Ça peut aller du son que fait un objet en tombant par terre, à la vision audacieuse d’un directeur photo dans un film grand public, ou encore la réflexion du soleil dans ma chambre.»

«Lorsque je dois réaliser une conception sonore, j’essaie le plus possible de partir de zéro pour avoir un son propre à chaque spectacle. Je n’essaie pas de coller la musique qui me plaît à une production, mais plutôt de sentir ce que la pièce demande, afin de guider l’action dramatique pour la rendre plus sensible et immersive.»

«Parfois, il est important aussi de laisser l’intellect de côté pour essayer de «sentir» ce que telle ou telle scène demande».

«Par exemple, pour une production de danse contemporaine, j’ai composé une dizaine d’ambiances sans savoir dans quel ordre elles allaient apparaître, et c’est seulement à l’entrée en salle qu’elles se sont mises bout à bout de manière assez organique.»

«Une autre fois, je me suis inspiré d’une vieille chanson des années 70 que j’ai déclinée en plusieurs versions afin de tracer une ligne dramatique cohérente à la conception. Pour la vidéo, c’est un peu différent du fait qu’il faut souvent partir d’images déjà existantes et les retravailler ensuite. Mais sinon, j’aborde le travail de manière sensiblement identique, peu importe le médium sur lequel je travaille.»

À quoi ressemble une journée typique pour toi, en tant que concepteur sonore et vidéo? Fais-nous un petit récit de l’essentiel afin que l’on comprenne bien ton quotidien.

«Même avant la pandémie, mon quotidien n’était pas très régulier. J’ai justement choisi ce métier pour avoir un emploi du temps le moins monotone possible. Cependant, à ma sortie de l’école, j’ai été engagé chez HUB Studio comme concepteur multimédia, ce qui m’a permis de travailler sur des projets variés et inspirants assez rapidement.»

«J’ai aussi commencé à faire de la tournée avec plusieurs spectacles. En 2019, j’ai été engagé comme sonorisateur sur la nouvelle mouture des Sept branches de la rivière Ota, ce qui m’a amené à travailler souvent en dehors de Montréal.»

«Je suis également le régisseur lumière et vidéo pour la pianiste montréalaise Alexandra Stréliski, ce qui m’a permis de sillonner le Québec ainsi qu’une partie de l’Europe. Mon quotidien a donc été rythmé par des voyages en avion, des chambres d’hôtel et des décalages horaires. Bien sûr, j’ai également travaillé sur différentes créations à Montréal avec un horaire plus habituel.»

«Cependant, depuis cette année, compte tenu de la situation exceptionnelle, j’ai été amené à travailler beaucoup plus au Québec qu’avant. Je me suis aménagé un bureau à la maison à cause de la situation sanitaire particulière. Pour résumer, mon quotidien est devenu beaucoup plus casanier au cours de la dernière année.»

Peux-tu nous parler des défis que tu as eu à relever dans le cadre de ta profession, que ce soit pour une production en particulier ou pour un évènement qui te vient en tête?

«Je dirai que la production des Sept branches de la rivière Ota d’Ex Machina a été mon plus gros défi. Il s’agissait d’une production de sept heures avec neuf comédiens en quatre langues différentes, avec une multitude de micros, de haut-parleurs et d’effets sonores à gérer. La première mondiale avait lieu à Moscou, ce qui a rajouté un niveau de difficulté, puisqu’il fallait composer avec une équipe qui ne parlait pas toujours bien anglais. Malgré tous ces défis, j’ai finalement réussi à m’en sortir, et j’ai déjà hâte que cette production reparte en tournée!»

«À ma sortie de l’école, j’avais l’impression d’être bon, de pouvoir faire face à n’importe quel projet avec sérénité. Travailler avec une compagnie exigeante comme celle-là m’a très vite fait redescendre de mon petit nuage. Finalement, en sortant de l’école, on n’est pas si «hot» que ça. On remarque qu’on ne sait pas grand-chose et qu’on a beaucoup à apprendre.»

«Je pense que c’est important d’être humble, d’accepter qu’on puisse se tromper. Même dans vingt ans, j’aurais encore des choses à apprendre. Prendre pour acquis notre talent et notre métier est la plus grande des erreurs; c’est à ce moment-là qu’on cesse d’être créatif.»

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«Umanishish», présenté à ZH festival, Photo: Hugo Saint-Laurent

Est-ce qu’il y a une ou quelques autres productions sur lesquelles tu as travaillé et dont tu es particulièrement fier, ou qui t’ont particulièrement marqué?

«En sortant de l’école, j’ai eu la chance d’être le concepteur sonore pour le théâtre itinérant de la Roulotte. Le metteur en scène Jean-Simon Traversy m’a donné une grande liberté pour la création, et j’ai pu véritablement créer une bande sonore originale qui accompagnait cette pièce jeune publique. Ce fut vraiment une belle aventure, surtout qu’on avait la chance de travailler à l’extérieur, ce qui changeait un peu des salles obscures habituelles.»

«Une autre expérience marquante fut de travailler avec Jacques Laroche sur son spectacle Bande de bouffons. Il s’agissait d’un show satirique sur le Canada où j’y créais la lumière et la vidéo avec Thomas Payette. La création fut extrêmement ludique, dans le sens où le texte décapant de Jean-Philippe Lehoux et le jeu grotesque des comédiens ne cessaient de nous étonner.»

«Pour finir, j’ai travaillé cet automne avec l’artiste Jocelyn Sioui sur un show dans lequel il raconte le combat de son grand-père pour les droits des peuples autochtones. Là encore, l’équipe de création fut véritablement un coup de cœur. On sentait que tout le monde voulait véritablement créer le meilleur projet artistique possible.»

Qu’est-ce ce qui fait ta particularité comme artiste, selon toi, et qui fait que ta signature, visuelle ou sonore, est reconnaissable dans tes œuvres?

«Pour moi, une journée où je n’apprends rien de nouveau est ennuyante. Il y a toujours moyen de pousser plus loin, de découvrir un nouvel outil et d’améliorer ses connaissances. Chaque fois que je travaille sur une nouvelle production, j’essaie de voir comment je pourrais améliorer ma méthode, que ce soit en explorant un nouveau logiciel de conception ou en envisageant la création de manière différente.»

«Cependant, je remarque que j’ai des habitudes qui se retrouvent sans que je les contrôle dans chacune de mes conceptions. En son, par exemple, j’aime le travail sur les basses fréquences. Aller faire vibrer la scène de différentes manières pour que le spectateur ressente le son plutôt que de le réfléchir. J’aime aussi, si la pièce le permet, composer une réelle bande sonore originale.»

«En vidéo, j’ai un grand intérêt pour la vidéo en direct. Les oeuvres, par exemple, d’Ivo van Hove et de Christiane Jatahy sont vraiment intéressantes pour moi, dans le sens que ces deux artistes explorent le lien entre le cinéma et le théâtre. Combiner la présence théâtrale en y intégrant une caméra est un procédé que je trouve infiniment passionnant.»

«En retravaillant avec la même personne, on développe également un langage commun. Par exemple, avec le metteur en scène Florent Siaud, avec qui j’ai la chance de collaborer de plus en plus, nous avons commencé un travail sur les visages projetés pour comprendre comment ceux-ci peuvent devenir une extension du monologue intérieur des personnages.»

Dans quel(s) projet(s) pourrons-nous voir ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?

«Malheureusement, pour le moment, je n’ai aucune date de représentation publique à vous donner pour un spectacle d’art vivant sur lequel je collabore. Cependant, j’ai participé au balado de ma merveilleuse amie Juliette Dumaine. Ça s’appelle «Le sentier des songes». C’est un balado pour se reposer, s’apaiser et prendre le temps de respirer en ces temps troubles.»

Pour lire nos précédentes chroniques «Dans l’envers du décor», c’est par ici!

Les conceptions de Gaspard Philippe en images

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  • «Dans l’envers du décor»: Gaspard Philippe, désigner multimédia en production théâtrale
    «Astéroïde B612», dans une mise en scène Jean-Simon Traversy, Théâtre de la Roulotte. Photo: Shanti Loiselle
  • «Dans l’envers du décor»: Gaspard Philippe, désigner multimédia en production théâtrale
    «Bande de bouffons», dans une mise en scène de Jacques Laroche, Théâtre du Tandem. Photo: Hugo B. Lefort
  • «Dans l’envers du décor»: Gaspard Philippe, désigner multimédia en production théâtrale
    «Bande de bouffons», dans une mise en scène de Jacques Laroche, Théâtre du Tandem. Photo: Hugo B. Lefort
  • «Dans l’envers du décor»: Gaspard Philippe, désigner multimédia en production théâtrale
    «Cendrillon», dans une mise en scène d'Isabeau Proulx Lemire, Conservatoire de musique de Montréal. Photo: Alexandre Lirette
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    «Le théorème d’Euclide», dans une mise en scène de Solène Paré, à l'École nationale de théâtre du Canada. Photo: Maxime Côté
  • «Dans l’envers du décor»: Gaspard Philippe, désigner multimédia en production théâtrale
    «Hamlet», dans une mise en scène de Florent Siaud, au Conservatoire d’art dramatique de Montréal. Photo: Alexandre Lirette
  • «Dans l’envers du décor»: Gaspard Philippe, désigner multimédia en production théâtrale
    «Je ne», dans une mise en scène de Geneviève Gagné. Photo: Patrice Tremblay
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    «Menekma», dans une mise en scène de Pierre Terzian, à ZH Festival. Photo: Madame B.
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    «Papier Glacé», une création collective, à ZH Festival. Photo: Maryline Beauchamp
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    «Les trois sœurs», dans une mise en scène de Florent Siaud, à l'École nationale de théâtre du Canada. Photo: Maxime Côté
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    «Umanishish», à ZH festival. Photo: Hugo Saint-Laurent
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    «Une journée», dans une mise en scène de Philippe Cyr, à l'École nationale de théâtre du Canada. Photo: Maxime Côté

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