«Disparu.e.s» de Tracy Letts dans une mise en scène de René Richard Cyr à Duceppe – Bible urbaine

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«Disparu.e.s» de Tracy Letts dans une mise en scène de René Richard Cyr à Duceppe

«Disparu.e.s» de Tracy Letts dans une mise en scène de René Richard Cyr à Duceppe

Mélodrame ou comédie? À vous de choisir!

Publié le 30 octobre 2019 par Edith Malo

Crédit photo : Caroline Laberge

C’est comme si Tracy Letts avait pris Tennessee Williams, Eugene O’Neill, Arthur Miller et les avait mis dans un immense blender. À peu près toutes les maladies de l’Amérique sont là au coeur de ce mélodrame comique surchargé — ou cette comédie mélodramatique, confiait René Richard Cyr à la journaliste Marie Labrecque dans une entrevue publiée dans Le Devoir. Le metteur en scène de renom dresse ainsi le portrait des Weston, une famille dysfonctionnelle à l'image d'une Amérique dissoute, dans la pièce Disparu.e.s («August: Osage County» en version originale anglaise), une adaptation de l'oeuvre la plus célèbre de l'auteur et scénariste Tracy Letts. Considérée comme l'une des pièces les plus marquantes des deux dernières décennies, l'histoire a été adaptée en 2013 par le cinéaste John Wells avec les actrices Meryl Streep dans le rôle de la matriarche Violet, et Julia Roberts, dans celui de la fille aînée, Barbara.

Dans cette version québécoise traduite par Frédéric Blanchette, le rôle de Violet est incarné par la remarquable Christiane Pasquier. S’embourbant dans sa consommation de médicaments, plus par dépendance que pour traiter son cancer de la bouche, ce personnage médisant et mesquin s’avère d’une cruauté stupéfiante à l’égard de son entourage.

Un clan familial sous haute tension

Après la disparition de Beverly, un mari, père de famille et poète ayant un fort penchant pour l’alcool, la famille Weston se voit réunie à nouveau. Les trois filles, Barbara (Marie-Hélène Thibault), Ivy (Evelyne Rompré) et Karen (Sophie Cadieux), se retrouvent dans la maison familiale du comté d’Osage, au coeur d’une Oklahoma chaude, humide, et d’un climat familial sous haute tension; aride et explosif.

C’est l’histoire de trois soeurs aux antipodes les unes des autres, qui tenteront tant bien que mal de reconstituer un esprit de famille harmonieux, chapeauté par une mère vipère, qui préfère alimenter la rancoeur à coup de reproches et de répliques cinglantes.

La scène du souper est d’ailleurs une pièce d’anthologie, puisqu’elle marque en soi le début du chaos, le point de chute de l’histoire, et le point de non-retour.

Les femmes mises à l’avant-plan

Les personnages féminins sont définitivement mis à l’honneur et au premier plan dans cette pièce. Les hommes, pour leur part, sans être impertinents, demeurent plutôt des rôles de soutien. Christiane Pasquier, en Violet, brille de mille feux, puisqu’elle porte la pièce sur ses épaules; mais chacune excelle à sa façon.

Marie-Hélène Thibault, qui joue avec aplomb le rôle de Barbara, se démarque du lot elle aussi. Son statut d’aînée la distingue des autres personnages, car elle porte une double responsabilité: elle a un devoir auprès de ses soeurs, qu’elle tente de protéger, d’aimer et de chérir, et ce, malgré le fait que la distance les ait rendues presque étrangères les unes des autres, et aussi auprès de sa mère acariâtre, froide et invivable, qui se meurt à petit feu.

Les ressemblances entre la mère et la fille aînée surgissent sournoisement et se révèlent au fur et à mesure, anéantissant Barbare et la menant vers une série d’échecs retentissants…

Une mise en scène discutable

Récipiendaire d’un prix Pulitzer en 2008 et de cinq Tony Awards, dont celui du meilleur texte, l’histoire du dramaturge américain Tracy Letts révèle des intrigues faciles et par moments clichées, qui m’ont quelque peu déçue, je l’avoue. En entrevue à l’émission Tout un matin à propos de ce texte, René Richard Cyr affirmait: «Je ne sais pas si c’est triste ou comique; ce sera à vous à me le dire».

En effet, on assiste à une comédie mélodramatique ou à un mélodrame comique, c’est bel et bien à vous de juger. La mise en scène est pourtant à l’image des codes qui définissent le mélodrame: certains éléments, comme le jeu des acteurs et la scénographie, y sont accentués, tout comme les effets sonores. Que l’on pense à l’alarme qui se déclenche lors de l’arrivée du shérif, dont la lumière des gyrophares inonde la salle en même temps qu’un bruit agressant qui va ponctue la discussion, pour mieux souligner l’aspect tragique.

Si certains effets sonores se veulent poétiques, notamment le souffle d’un vent nouveau qui se dresse sur les plaines de l’Oklahoma, l’ampleur aurait pu être atténuée, puisque le son étouffe littéralement les dialogues des acteurs.

Quant au jeu des acteurs en lui-même, les personnages frôlent la caricature, à l’exception d’Evelyne Rompré, dont la partition semble crédible avec le drame que son personnage porte en lui. D’autres personnages, comme tante Mattie Fae (Chantal Baril) et son mari Charlie Aiken (Roger Léger), semblent s’être évadés d’un théâtre d’été, avec leur accoutrement; elle, sous ses airs bourrus, et lui, soumis et simple d’esprit.

Si, dans l’ensemble, le but de la pièce est de nous faire rire, c’est définitivement réussi, surtout avec l’arrivée du fils déchu, le P’tit Charlie, interprété par le formidable Renaud Lacelle-Bourdon. La dynamique entre son père Charlie et lui est carrément hilarante. On peut vraiment affirmer «tel père, tel fils», tant ils incarnent leurs personnages avec candeur et naïveté.

Vraiment, la distribution est irréprochable, mais le drame initial est plutôt secondaire, et les répliques assassines font davantage rire… et pas forcément jaune.

L’ambiance se veut en effet étouffante et sombre, le tout dans un décor somme toute classique et réaliste. Des fenêtres placardées; une maison laissée à l’abandon, constituée d’une salle à manger, d’un salon au premier niveau, et de trois chambres à coucher réparties sur trois paliers.

Le spectateur pénètre dans l’antre de cette maison où l’air est vicié, où les valeurs sont bafouées, où de terribles secrets et mensonges taraudent chacun de ses «locataires».

Disparu.e.s: pourquoi est-ce un spectacle pertinent? 

À plusieurs reprises, je me suis posé cette question: «Pourquoi est-ce qu’on a tenu à nous projeter dans une famille du sud des États-Unis, bien que le thème de la famille soit universel et que la traduction de Frédéric Blanchette soit très québécoise et drôle en même temps?»

Force est d’admettre que cette famille représente une Amérique qui s’effrite, en perte de repères, c’est bien vrai. À la tête de son gouvernement, un président qui divise et enfreint chaque jour les valeurs fondamentales d’égalité d’un pays que l’on croyait pourtant libre et indépendant. Un président qui décide d’une vérité insidieuse…

Les personnages de Disparu.e.s cherchent seulement à s’affranchir de ce microcosme familial malsain dans lequel ils se sont vautrés pendant des années, totalement inconscients. Et s’il y avait une lueur d’espoir dans la dissidence?

«Disparu.e.s» de Tracy Letts en images

Par Caroline Laberge

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