Entrevue avec Emmanuel Schwartz, le Voltaire du «Candide ou l’Optimisme» au TNM – Bible urbaine

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Entrevue avec Emmanuel Schwartz, le Voltaire du «Candide ou l’Optimisme» au TNM

Entrevue avec Emmanuel Schwartz, le Voltaire du «Candide ou l’Optimisme» au TNM

Poser un regard éclairé sur une œuvre sombre

Publié le 10 septembre 2018 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Jean-François Gratton

Ici, on n’est pas dans un respect du classicisme du siècle des Lumières. Il y a de la place pour toutes sortes de folies, de folies contemporaines. En plus, il s’agit d’une adaptation signée Pierre Yves Lemieux, un spécialiste de ces réécritures avec force mises en abîme qui brouillent les barrières entre acteurs et personnages. Voilà quelques arguments qui ont convaincu l'acteur Emmanuel Schwartz de chausser les souliers du grand auteur Voltaire dans cette version de Candide ou l’Optimisme, une pièce qui sera présentée du 11 septembre au 6 octobre 2018 au Théâtre du Nouveau Monde. En entrevue, il nous donne d’autres raisons d’y courir!

*Cet article a été commandité par le Théâtre du Nouveau Monde.

Il y a, d’abord, les personnages colorés du conte philosophique: ce jeune Candide, incapable de se déprimer, qu’on «rentre dans le mur sans arrêt et qui a toujours le sourire plaqué dans la face», et qui ne pouvait trouver meilleur interprète que Benoît Drouin-Germain, qui est, selon son ancien colocataire, «d’une candeur sans nom» et «comme un sous-marin: il avance et il n’y a rien qui va l’arrêter». Sans oublier Pangloss, le maître à penser de Candide «qui ne semble pas être capable de dire une chose vraie, qui est toujours en train de prétexter le meilleur des mondes possibles alors qu’il ne voit que de l’horreur autour de lui», et qui prend vie sous les traits de Patrice Coquereau, un comédien «d’un polymorphisme absolument incroyable! Et il a un sens comique qui est inégalé, c’est un acteur virtuose qui fait ressortir toutes les qualités du ridicule des propos de ce personnage-là, avec une grande intelligence et une grande adresse».

Il y a, ensuite, cette grande allégorie où «chaque pays est pratiquement illustré dans sa pire version possible et où on passe de malheur en malheur, jusqu’au constat qu’on ferait mieux de rester chez nous», résume Emmanuel Schwartz, qui tient à nuancer le fait que, bien que la production porte le titre original de l’oeuvre signée par Voltaire, c’est bien une version adaptée qui sera présentée par l’équipe, dirigée par la metteure en scène Alice Ronfard, dans laquelle on a en quelque sorte fait ressortir ce qui résonnait encore à notre époque. «Le focus principal de l’adaptation reste l’envie de partager ce conte, mais peut-être en l’actualisant et en ouvrant les interstices, c’est-à-dire en tentant d’éclaircir à quoi, réellement, Voltaire faisait référence», explique le comédien, qui ajoute que certains pans du conte philosophique seront malgré tout récités dans leur intégralité.

L’envie de l’équipe était surtout de transmettre au public le plaisir de la pensée de Voltaire. C’est pourquoi Pierre Yves Lemieux est aussi allé puiser dans les essais et autres écrits de l’auteur pour imaginer cette réunion de Voltaire et de ses proches amis, collaborateurs et comédiens autour d’une table pour en quelque sorte tester ce texte qu’il n’est pas certain de publier. «Il cherche à la fois l’appui, mais aussi à éprouver son texte en l’entendant. Donc, par le biais de cette espèce de représentation maison qu’ils se font, ça lui permet de rentrer dans la philosophie de son texte. Ça devient pratiquement un jeu du commentaire sur telle ou telle section, telle ou telle image, telle ou telle métaphore qui est utilisée par Voltaire, et ça mène à un débat entre Voltaire lui-même et ses proches.»

La situation imaginée en est une que Voltaire a souvent pratiquée; l’équipe ne sait simplement pas si Candide ou l’Optimisme a bénéficié de cet exercice. Ce qui est certain, c’est que de la façon dont le récit est amené, «c’est comme si les bouts les plus épineux nous étaient présentés et, après ça, les comédiens souvent s’arrêtent et lui disent Es-tu fou? Qu’est-ce que tu dis?, alors Voltaire explique et il justifie. Donc, c’est comme si on suivait l’écriture, en fait», illustre le comédien, qui cite le racisme, la tolérance, l’Église ou l’existence même de Dieu parmi les thèmes de prédilection de Voltaire dont il est question dans la pièce.

La théâtralisation du conte philosophique

Historiquement, probablement que les comédiens qui acceptaient de se rendre chez l’auteur pour «jouer» ses pièces avaient le texte à la main. Ici, on accepte la convention: «On est dans une logique où les gens savent déjà ce qu’ils vont jouer ou à peu près. Il y a une sorte de distribution qui a été faite et la pièce commence au moment où la répétition commence», explique le comédien, avant de se rectifier: «Ce n’est pas tout à fait une répétition. Nous, on a commencé à appeler ça une répétition, parce que ça coïncide avec la manière dont on travaille, c’est-à-dire qu’on essaie des choses. Ça se peut qu’on essaie de tourner la table, de la mettre à l’envers; ce sont des essais et erreurs qu’on fait en répétitions, et ça se passe aussi comme ça dans, disons, l’essai de compréhension que fait Voltaire avec ses comédiens.»

À mi-chemin entre la fabulation et de véritables caractéristiques retenues de l’écriture de Voltaire, la production n’est donc pas tout à fait véridique au niveau historique, mais elle apporte en contrepartie un accès privilégié au processus de création de ce conte philosophique, à travers le jeu et la théâtralisation de cette œuvre. Les comédiens touchent d’ailleurs à plusieurs aspects qu’on peut retrouver dans une vraie répétition: la recherche d’accents, par exemple, ou encore l’atteinte du bon niveau d’intensité. Comme les comédiens dans la pièce sont dans une perspective d’exploration, «Voltaire est un peu tout le temps en train de corriger le tir et, par le fait même, il donne les clés aux spectateurs pour qu’ils comprennent ses intentions.»

Mais au-delà des idées véhiculées et discutées, quiconque aura lu Candide ou l’Optimisme pointera le fait qu’il s’agit d’une grande épopée avec de nombreux personnages et davantage encore de lieux et d’évènements rocambolesques. Cette adaptation se concentrerait-elle plutôt sur le côté intellectuel de l’œuvre? «Il ne faut pas sous-estimer le talent de metteure en scène d’Alice Ronfard», nous prévient Schwartz, son grand complice depuis des années. «Elle excelle aussi dans l’organisation visuelle d’un spectacle. Ça va être luxuriant, je pense, comme scénographie. Donc, ça va être un ravissement pour l’esprit, mais aussi pour l’œil.»

De toute façon, il y a un grand humour et beaucoup de dynamisme dans la pièce, d’une part, en raison de ses personnages colorés et très théâtraux, mais aussi à cause de la situation elle-même. «Voltaire dit à ses comédiens “Passons, passons, allons-y!” Il veut entendre le récit, donc chaque fois que quelqu’un s’arrête, ça le dérange. C’est ça la dynamique: ils ont spontanément des idées sur comment représenter ça, mais ils n’en discutent pas, ils se lancent directement!» C’est donc dans une vraie optique de «jeu», dans sa plus pure définition, que les comédiens improviseront et s’amuseront à nous amener d’un pays évoqué par une table droite à un autre où la table est couchée, à une pirogue représentée par la table renversée, notamment.

Réflexions de société

Puis, peu à peu, Voltaire lui-même se laissera gagner par cette façon de donner vie à son récit et embarquera dans le jeu avec ses collaborateurs, tout en continuant de les reprendre par moments et de justifier ses idées. «La permission de la parole, c’est une chose qui, je trouve, est très présente, comme si c’était ça un petit peu le fil dramatique: est-ce qu’on a le droit de penser et de parler?» réfléchit Emmanuel Schwartz, qui trouve que les idées de Candide ou l’Optimisme sont encore très, très actuelles. «C’est quand il est question de garder ou non des passages qu’on en vient à parler de censure. Peut-être qu’on n’offre pas de réponse, peut-être qu’on n’éclaire pas le présent outre mesure, mais en tout cas, ça nous permet d’y réfléchir autrement», avance l’acteur, qui trouve hautement pertinent de jouer cela au TNM cette année.

«Si on l’avait jouée dans l’intégral, je ne sais pas si on aurait moins entendu ces choses-là, parce que maintenant, Pierre Yves Lemieux a fait le foyer sur ces choses-là». C’est évidemment plus dans la bouche des personnages qui critiquent l’œuvre de Voltaire que ça se ressentira, mais Schwartz affirme qu’«il y a des choses qui auraient pu être dites hier ou cet été en face du théâtre». La censure et la liberté d’expression ayant fait les manchettes abondamment l’été dernier, il est très intéressant pour le comédien d’alimenter l’envie d’aller au fond de ces réflexions. «Moi je lis dans notre pièce ceci: discutons. Parlons de nos craintes, parlons de l’inconnu, parlons-en, et à mesure qu’on en parle, on va le découvrir, on va le cartographier cet espace-là où se logent nos peurs et nos paranoïas».

Venez voir ou revoir Emmanuel Schwartz aux côtés de Valérie Blais, Patrice Coquereau, Larissa Corriveau et Benoît Drouin-Germain sur la scène du TNM du 11 septembre au 6 octobre dans Candide ou l’Optimisme, une pièce d’une durée de 1 heure 45 minutes sans entracte. Pour plus d’information, visitez le www.tnm.qc.ca/candide-ou-loptimisme.

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