«Hope Town» de Pascale Renaud-Hébert au Théâtre La Licorne – Bible urbaine

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«Hope Town» de Pascale Renaud-Hébert au Théâtre La Licorne

«Hope Town» de Pascale Renaud-Hébert au Théâtre La Licorne

Peut-on détester sa famille?

Publié le 2 mars 2020 par Edith Malo

Crédit photo : Nicola Frank Vachon

Poser la question provoque en soi un profond malaise. Est-ce concevable ou même acceptable de renier ses liens filiaux? Dans Hope Town, l'autrice et comédienne Pascale Renaud-Hébert met en relief ce besoin viscéral de s'affranchir de sa famille pour mieux s'émanciper.

Dans un Subway d’Hope Town en Gaspésie, alors qu’elle est en vacances avec son amoureux, Isabelle s’apprête à faire une découverte stupéfiante. Comment réagir lorsque l’on tombe nez à nez avec son frère disparu cinq ans plus tôt à l’âge de 16 ans, sans motifs apparents et sans aucune explication?

Dans une coproduction du Théâtre La Bordée et du Collectif du vestiaire, Hope Town dresse le portrait d’une famille ordinaire confrontée à la quête de liberté de leur fils. Une quête qui dérange, qui offusque et qui bouleverse, mais qui cache sa part d’ombres et de mensonges. C’est Marie-Hélène Gendreau qui met en scène ce texte vindicatif, drôle et troublant de Pascale Renaud-Hébert.

Hope Town porte d’ailleurs bien son nom. Nourrie par l’espoir que leur fils revienne à la maison, une famille modeste d’Abitibi a carrément cessé de vivre pendant cinq ans. Ils ont imaginé les pires scénarios d’horreur jusqu’à ce jour hasardeux, ce jour où Isabelle (Pascale Renaud-Hébert) est happée littéralement par une vérité brutale: son frère les haït.

La première scène se déroule en huis clos dans un décor de Subway alors qu’Olivier (Olivier Arteau) prépare sa fermeture. La confrontation entre frère et sœur s’exécute avec sobriété, soulignée par un éclairage froid et dépourvu d’effets sonores. Isabelle s’acharne à comprendre le geste de son frère. Elle le bombarde de questions, mais une en particulier lui brûle les lèvres: «Pourquoi être parti sans donner signe de vie?» Olivier tente d’esquiver les questions avec humour, un aspect du texte dramaturgique qui confère aux personnages une humanité et une crédibilité, bien que le sujet soit épineux.

Est-ce que la décision d’Olivier prise cinq ans plus tôt marquera un point de non-retour?

Au premier abord, on se demande si les enjeux de vérité seront dénoués dans un seul et même décor, en face à face. La durée de la pièce risquerait d’être longue si c’était bien le cas! Au contraire, la mise en scène bascule dans une course contre la montre.

Les acteurs procèdent aux changements de décor guidés par des effets sonores rythmés, soit la respiration amplifiée d’Olivier qui accourt vers le nid familial. La scène se transforme en salle à manger. Au fond, un foyer orné d’un panache d’orignal souligne à grand trait les clichés de la famille en région, avec un manque d’ouverture naïf. La tension s’amplifie. Les secrets risquent d’éclater au grand jour avec les dommages collatéraux qui s’ensuivent…

Une mise en scène ponctuée de malaises

Marie-Hélène Gendreau signe ici une mise en scène ponctuée de moments embarrassants. Le reste de la pièce se déroulera autour d’un repas, contraignant les acteurs à manger constamment durant la pièce pour étouffer les non-dits et survoler les sujets sans grande profondeur.

Elle souligne ainsi les traits grossiers de cette famille aux prises avec des problèmes de communication et d’écoute flagrants; une mère qui s’exprime sans filtres; un père qui ne cesse de rebattre les oreilles de son fils avec ses invitations de chasse, l’activité par excellence à pratiquer entre hommes pour souder la relation père-fils; puis un gendre policier adoré de sa belle-famille.

Toutefois, même s’ils incarnent des clichés, Pascale Renaud-Hébert teinte ses personnages d’une grande bienveillance ainsi que d’une maladresse risible.

Un texte bien ficelé, des acteurs admirables

Hope Town nous retient captifs du début à la fin. On savoure littéralement les malaises et les répliques exprimées à demi-mot. On est tiraillé entre deux perceptions, celle d’une quête de liberté qui affronte l’amour inconditionnel d’une famille. Bien que l’on saisisse le calvaire qu’Olivier a fait endurer à sa famille durant cinq ans et qu’on puisse le qualifier d’égoïste, on aimerait par moments lui crier: «Sauve-toi!» Pourtant, il semble se ramollir; son instinct semble s’atrophier, et sa vigueur, s’anéantir.

Olivier Arteau se démarque de cette brigade d’acteurs qui interprètent de manière juste et convaincante chacun des membres de cette famille dysfonctionnelle. Son corps exprime l’inconfort. On le dirait marqué au fer rouge du mot outsider. Sa position dans l’environnement le place toujours en retrait. Pas étonnant que Pascale Renaud-Hébert ait choisi cet acteur et ami pour personnifier le rôle de son frère.

La dualité au cœur de leur dynamique est envoûtante, et le dénouement inattendu et perturbant.

Définitivement, le texte de ce spectacle est admirablement bien ficelé et sans parti pris. Des émotions à vif et une trajectoire inattendue. Un gouffre où chacun s’enlise dans ses mensonges, pour servir ses propres intérêts. Un suspense absorbant.

Hope Town risque de se retrouver dans le top 2020 de nos meilleures pièces de l’année!

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