«Incendies» dans une mise en scène de Marie-Josée Bastien au Théâtre du Trident de Québec – Bible urbaine

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«Incendies» dans une mise en scène de Marie-Josée Bastien au Théâtre du Trident de Québec

«Incendies» dans une mise en scène de Marie-Josée Bastien au Théâtre du Trident de Québec

Raviver la flamme

Publié le 20 mars 2018 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Stéphane Bourgeois

Souffler sur les braises d’Incendies, de Wajdi Mouawad, quinze ans après sa création au Théâtre de l’Hexagone, à Grenoble, puis au Théâtre de Quat’sous de Montréal, et huit ans après son adaptation cinématographique encensée partout dans le monde, par Denis Villeneuve, voilà une entreprise audacieuse. Mais s’il y avait quelqu’un pour redonner de l’amour à cette œuvre jeune, certes, mais déjà majeure, c’était bien la metteuse en scène Marie-Josée Bastien. Sur la scène du Théâtre du Trident de Québec, jusqu’au 31 mars, la créatrice n’a pas boudé son plaisir: elle a mis le paquet!

Impossible de rester de glace devant cet Incendies version Bastien. Dès l’entrée en salle, on est soufflés par le décor et la scénographie. C’est majestueux, c’est grandiose, c’est impressionnant. C’est magnifique. Cette construction en amas de chaises frappe droit dans le mille, presque comme ces montagnes de meubles et d’objets que des pilleurs auraient amoncelé sur la place publique et auxquelles ils voudraient mettre le feu ou encore comme ces nombreuses possessions laissées derrière par les expatriés dont on a ravagé et incendié le village. On peut interpréter à sa guise sa signification, il n’en demeure pas moins que le travail de conception scénographique de Marie-Renée Bourget Harvey est sensationnel et donne immédiatement le ton pour une production de grande qualité.

Et alors que la scène nous semble déjà meublée au maximum de sa capacité – pas seulement de chaises, mais aussi de divers objets mystérieux –, on découvre au fil de la pièce que cet amoncèlement continue toujours de se développer, comme une lente construction. Les comédiens y apportant toujours de nouveaux éléments ou en révélant ici et là des parties qu’on n’avait jusque-là pas remarquées, le décor comporte tellement de fins détails, autant simplement dans les objets que dans leur symbolique, qu’il nous faudrait sûrement voir la pièce une dizaine de fois pour tout saisir. On est plutôt certains que rien n’est laissé au hasard dans cette construction: on pourrait en faire une analyse digne d’une thèse de doctorat.

Pourtant, c’est malgré tout à l’humain qu’on a laissé toute la place dans cette production relatant le passé difficile de Nawal et la quête de ses jumeaux Jeanne et Simon afin de retrouver leur frère, dont ils ignoraient l’existence avant la lecture du testament de leur mère, et aussi de leur père, qu’ils croyaient mort. En optant pour la miniaturisation des nombreux lieux présentés dans l’œuvre de Wajdi Mouawad – que ce soient les différentes villes du pays de Nawal, avec leur orphelinat, leurs maisons ou même le fameux autobus qui avait marqué les esprits dans le film de 2010 –, et tantôt en jouant avec, tantôt en les incendiant, Marie-Josée Bastien a choisi de ne pas mettre de grands décors en avant-plan, de ne pas miser sur l’environnement – bien que tant Nawal que ses enfants parcourent de longs chemins et visitent de nombreux lieux pour chercher réponses à leurs questions –, mais plutôt de laisser tout l’espace à ses personnages et, ultimement, à ses comédiens.

De Sarah Villeneuve-Desjardins (Jeanne) à Véronika Makdissi-Warren (Nawal à 40 ans), en passant par Réjean Vallée (Hermile Lebel, Abdessamad et Malak), Gabriel Fournier (Nihad) et Jean-Sébastien Ouellet (Ralph, Antoine, Chamseddine, entre autres), pour ne nommer que ceux-là, ils sont d’ailleurs tous excellents, ces comédiens.

La distribution au grand complet presque toujours visible sur scène, parfois comme des corps morts, symbolisant la dureté de la situation politique dans le pays de Nawal, parfois préparant tranquillement son prochain coup d’éclat à l’arrière-plan de l’action en cours, ou encore se promenant tout simplement sur les différentes passerelles de la structure du décor, contribue à l’ambiance, tout en meublant l’espace immense.

Malgré tout, ces différentes aires de jeu insérées dans cette structure ne sont pas assez bien exploitées, et l’action finit, la plupart du temps, par se dérouler dans la même zone, centrale. Néanmoins, celle-ci est transformée tant de fois au cours de la représentation, elle évoque tant de lieux et d’ambiances différents qu’on ne saurait ressentir un effet de statisme. Il faut d’ailleurs voir la façon astucieuse avec laquelle on métamorphose un simple carré ici en ring de boxe, et là, en prison. Franchement, dans toute cette production, il n’y a que ça, des astuces impressionnantes pour représenter certains éléments (des coups de feu, par exemple) et d’ingénieuses transitions (il faut voir celle entre l’enterrement de la grand-mère de Nawal, Nazira, et celui de Nawal elle-même: un véritable tour de force).

Si on a l’impression que Marie-Josée Bastien a véritablement réussi à saisir l’essentiel de l’œuvre de Mouawad et qu’elle n’a pas tourné les coins ronds, bien que quelques petits détails aient été escamotés, elle a aussi tout mis en œuvre pour créer des moments saisissants. Plusieurs nous hantent d’ailleurs longtemps après notre sortie du théâtre: l’envolée grandiose et pleine de démesure de Nihad, les rencontres entre Antoine et Jeanne, où on sent un grand souffle d’affection pour Nawal, les moments d’amour candide entre Wahab et la jeune Nawal, le déplacement de Nazira vers sa tombe, sur une planche de bois, tandis qu’elle offre à Nawal ses dernières paroles, ou, enfin, la perte de fierté d’Abou Tarek, en finale.

Pourtant, malgré toute la bonne volonté de la metteuse en scène, on demeure avec une impression globale que l’impact de la chute – si percutante et donc, capitale – a été amoindri et moins saisissant dans cette proposition qu’à la lecture du texte ou au visionnement du film (qui la montrait de façon complètement différente mais ô combien efficace). On ne mentira pas: on a tout de même entendu des spectateurs s’exclamer de stupeur, mais on se demande tout de même si la révélation n’aurait pas été quelque peu noyée dans le trop-plein et dans l’effet surchargé de la production?

Quoi qu’il en soit, l’Incendies de Bastien va mettre du temps à s’éteindre, et va occuper longtemps nos esprits.

L'événement en photos

Par Stéphane Bourgeois

  • «Incendies» dans une mise en scène de Marie-Josée Bastien au Théâtre du Trident de Québec
    Photo : Stephane Bourgeois
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