«L'avalée des avalés» au TNM: un bijou du théâtre québécois – Bible urbaine

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«L’avalée des avalés» au TNM: un bijou du théâtre québécois

«L’avalée des avalés» au TNM: un bijou du théâtre québécois

Immersion au cœur d’une famille atypique

Publié le 11 décembre 2020 par André-Anne Côté

Crédit photo : Yves Renaud

Disponible en webdiffusion, la pièce L’avalée des avalés est présentée au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) jusqu’au 17 décembre. D’après une adaptation du célèbre roman de Réjean Ducharme et dans une mise en scène de Lorraine Pintal, la production nous ouvre les yeux quant au sort d'une famille anticonformiste au cours des années soixante au Québec.

Une immersion dans le passé 

Pour l’anecdote, il faut savoir qu’avant son décès en 2017, Réjean Ducharme avait gentiment légué ses droits d’auteur au Théâtre du Nouveau Monde, à qui il vouait une grande admiration. Désormais, c’est au tour de cette institution montréalaise de lui témoigner de son estime en présentant sur scène L’avalée des avalés.

Ainsi, l’adaptation de Lorraine Pintal, créée avec succès à Avignon et reprise à Paris en 2018, s’inscrit dans la mission du TNM: celle de faire connaître cette œuvre phare à travers la francophonie, puisqu’elle raconte une histoire pour le moins unique et singulière.

On s’immisce ainsi dans le destin de la jeune Bérénice Einberg, interprétée par l’ingénieuse Sarah Laurendeau, qui mène une vie tourmentée sur l’Île des Sœurs entre un père absent, une mère névrosée (Louise Marleau), et un frère aimant (Benoît Landry).

Au fil de L’Avalée des avalés, on comprend que chacun des parents «instrumentalise» les enfants, dans le but mesquin de blesser l’autre conjoint. En guise de réponse, la jeune Bérénice porte une affection démesurée pour ses amies et pour son frère Christian, qui se traduit en lettres d’amour rocambolesques. Pour la punir de son comportement excessif, son père l’expédie en Israël, dans l’enfer de la guerre…

Une performance juste et intense

D’emblée, j’ai trouvé le jeu de Sarah Laurendeau particulièrement rafraîchissant, puisque l’actrice réussit à rendre avec justesse des moments plus sombres de façon humoristique. De plus, la robe blanche que porte son personnage Bérénice lui donne parfois des airs d’Alice au pays des merveilles en repli sur elle-même, dans un monde imaginaire, face au reste de la société.

D’ailleurs, parlant des costumes, c’est certainement l’aspect qui m’a le plus émerveillée dans ce spectacle. Leur style baroque et représentatif des années 60 complète bien le décor vintage, afin de nous plonger au cœur de la Révolution tranquille au Québec. Et les observateurs ont sûrement, comme moi, aperçu les fameux «Trophoux», ces collages d’objets de Ducharme accrochés sur les murs de la chambre de Bérénice! Voilà un beau clin d’œil à l’auteur et à son univers.

De plus, les jeux de lumière tamisés et les angles rapprochés de la caméra nous ont très vite invité dans l’intimité de la famille Einberg. Ces prises de vue variées, de très haute qualité visuelle, s’apparentent parfois à un film, ce qui rend la représentation dynamique pour les spectateurs.

Au cours du spectacle, on comprend rapidement la profondeur du texte. L’œuvre est en soi dérangeante et très exigeante mentalement: en effet, à travers les dialogues – qui comportent de nombreuses figures de style – sont abordés des thèmes particulièrement sensibles. Par exemple, il est facile de se laisser emporter par le marasme de Bérénice à travers l’enchaînement succinct de métaphores.

Ainsi, la santé mentale, l’intégration des immigrants, l’égalité homme-femme et la dislocation de la famille traditionnelle sont des sujets longuement discutés, toujours avec minutie, tout au long de la pièce. Malgré la lourdeur du propos, le discours de la jeune héroïne, qui refuse d’accéder au monde adulte en raison du conflit familial, est porteur d’espoir, puisqu’il dénonce les inégalités de son époque.

Un miroir du passé et du futur  

Bien qu’encore troublée, mais surtout émue par la sensibilité exacerbée de Bérénice Einberg pour son jeune âge, je vous conseille de découvrir cette pièce maîtresse de la littérature québécoise. Cependant, il ne faut pas s’attendre à un divertissement léger de fin de soirée, mais plutôt à une œuvre théâtrale critique de son époque.

Par son ton cynique, celle-ci crée des conflits internes et amène à faire réfléchir sur notre propre société. Quel chemin, en termes de progrès social, avons-nous réellement parcouru depuis les années soixante?

Avec le recul, l’écrivain mythique Réjean Ducharme a bel et bien réussi à se servir de l’écriture afin de questionner le présent. J’espère que cette œuvre marquante servira d’héritage aux futures générations.

L’avalée des avalés est disponible sur la plateforme de webdiffusion du TNM jusqu’au 17 décembre 2020.  Pour ceux qui désirent une performance encore plus déroutante, la pièce sera présentée en salle, à moins d’un avis contraire, du 18 mai au 6 juin 2021.

«L’avalée des avalés» au TNM en images

Par Yves Renaud

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