«Manifeste de la Jeune-Fille» au Théâtre Périscope de Québec – Bible urbaine

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«Manifeste de la Jeune-Fille» au Théâtre Périscope de Québec

«Manifeste de la Jeune-Fille» au Théâtre Périscope de Québec

Voyage au bout de nos principes

Publié le 12 octobre 2018 par Maude Rodrigue

Crédit photo : Valérie Remise

Jusqu’au 20 octobre, l’inclassable Olivier Choinière sévit au Périscope: l’auteur sonde l'esprit des bien-pensants-es. Que leur servilité soit aveugle ou éclairée, qu’ils reconnaissent ou non leur assujettissement au capitalisme de même que les contradictions qui pétrissent la condition humaine, une question se pose: ultimement, peut-on prétendre à la liberté? Manifeste de la Jeune-fille a l’effet d’une bombe: les prises de conscience explosent au visage de l'auditoire, dans un tapage de violence, de démesure et d’une inaltérable beauté.

Au premier chef, il est question des membres de la classe moyenne, fiers-ères dépositaires d’une conscience soi-disant aguerrie et sociale. Les valeurs – l’écologie, la consommation responsable, la recherche de l’équilibre – ne constituent pas que le blason du citoyen dans la lutte qu’il livre au cynisme ambiant: ces valeurs laminent son bouclier censé le protéger contre la bêtise humaine…

Or, ce bouclier est friable. Ces «bourgeois-es bohèmes», auréolés-es d’une aura de bonne volonté, sont persuadés-es qu’ils-elles appartiennent au camp des lucides. Olivier Choinière les prend toutefois au pied de la lettre. Sa quête relève de l’obsession: l’auteur traque les personnages et les pourchasse jusque dans leurs ultimes retranchements. Acculés, ils sont exposés à la véritable nature de leurs motivations: la vie comporte ainsi son lot de compromissions, et nul ne peut prétendre au respect absolu de ses principes. Tout un chacun, ils sont composés de «mille réalités contradictoires». Ils sont voués à transiger sur leurs principes les plus chers.

Des constats intransigeants

Il est proprement affolant de voir certains-es politiciens-nes et publicitaires agir en parangons de vertu. Leurs promesses, les discours fumeux qu’ils tiennent, ne se traduisent pas forcément par des décisions favorables au bien-être collectif.

Repus de la candeur ambiante, ils donnent éventuellement libre cours à leurs desseins sordides. Manifeste de la Jeune-Fille démontre cette récupération de certaines luttes par les classes dominantes. L’engagement envers une cause noble peut éventuellement se retourner contre soi. En tentant de le repousser, il arrive que l’on en vienne plutôt à embrasser le système capitaliste.

Un sentiment d’impuissance

Choinière n’autorise pas la sentimentalité. Quelques cris du cœur authentiques fusent à divers points de la pièce: l’éclairage change alors, permettant de saisir la gravité du propos tenu par les personnages. Ils mesurent leur incapacité à être cohérents-es avec les principes qui leur sont chers. Or, rapidement, les digressions reprennent, le délire se poursuit. Manifeste de la Jeune-Fille inocule ainsi surtout un sentiment d’impuissance et de confusion chez le-la spectateur-rice, de même que cette impression de ne pas faire le poids face à la complexité du monde. Le potentiel de changement du citoyen-ne paraît annihilé par celui-ci.

Certains scènes marquent particulièrement, comme celle où un jeune homme s’affole alors que son projet de télé-réalité zéro-déchets se révèle moins imbriqué dans ses convictions qu’il ne l’aurait souhaité, où encore ce tableau où des personnages, engoncés dans des vêtements d’itinérants-es, vident leur besace de rancœur contre les dirigeants-es de ce monde: «Pourquoi ça serait à moi d’économiser? Pourquoi ça serait à moi de faire attention? […] On vit dans une société qui produit des inégalités pharaoniques, qui concentre tout le pouvoir entre les mains d’une poignée de personnes, et qu’est-ce qu’on fait pendant ce temps-là? On vote pour elles! Un pour cent de la population mondiale possède plus de richesse que le restant de la planète, et qu’est-ce qu’on fait pour les remercier? On les imite au Bye bye! Est-ce que c’est moi où y a quelque chose qui tourne pas rond dans nos têtes? C’est tu moi ou on a un don particulier pour l’esclavage et la soumission?»

Une oeuvre qui capte l’esprit contemporain

La pièce est résolument contemporaine. Les images pullulent. Les sources d’informations et les opinions prolifèrent comme le chiendent dans le champ de nos consciences.

Parmi les éléments saillants de la mise en scène – signée Choinière -, des bribes de ce que clament les personnages défilent sur un écran. Des extraits de l’actualité intercalent des images de défilés de mode. Le tout paraîtra bigarré; en fait, il est le reflet des positions irréconciliables que recèle chacun-e intimement. Au fil des scènes, les personnages changent leur look, et les habits consécutifs qu’ils revêtent sont autant d’opinions «prêt-à-porter» auxquelles ils adhèrent.

L’efficacité du texte tient en l’interprétation qu’en font les acteurs-rices fougueux. Si Muriel Dutil et Raymond Cloutier paraissent parfois chancelants aux côtés du reste de la distribution, on est d’autant plus désarçonné lorsqu’ils s’arrogent à leur tour une parole vitriolique.

Quelle direction la pièce a-t-elle? Quel message dégage-t-on de cette accumulation de preuves accablantes de notre aliénation? Nous nous situons dans un cul-de-sac, et notre liberté est illusoire. Autant composer avec les paramètres qui nous sont échus, et «préférer une meilleure connaissance des murs de [notre] prison» aux «vérités trompeuses» comme l’écrit Choinière en guise de préambule de sa pièce.

Quoi qu’il en soit, qu’importe l’enseigne à laquelle il loge, qu’il émane du camp de la gauche ou de la droite: un propos, un comportement dénué de réflexivité recèle un potentiel terrifiant, ravageur. L’enjeu se pose aussi à l’échelle de nos rapports interpersonnels.

La pièce «Manifeste de la Jeune-Fille» en 7 photos

Par Valérie Remise et Caroline Laberge

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