«Televizione» de Sébastien Dodge au Théâtre de Quat’Sous – Bible urbaine

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«Televizione» de Sébastien Dodge au Théâtre de Quat’Sous

«Televizione» de Sébastien Dodge au Théâtre de Quat’Sous

Le confort et l'indifférence

Publié le 14 avril 2016 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Marie-Andrée Lemire

À quoi servent l’art et l’artiste? Quel est le rôle des médias en temps de crise, de guerre ou de famine? Dans quel objectif les gens écoutent-ils la radio ou la télévision? Souhaitent-ils réellement être informés ou plutôt divertis? Éveillés ou endormis? C’est à ces questions qu’a tenté de répondre Sébastien Dodge en écrivant sa plus récente création, Televizione, laquelle est présentée au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 28 avril, en utilisant le rire comme messager.

Italie, 1941. Déjà, un Italien dans les rangs nazis soupçonne le Führer de ne pas tout dire à ses fidèles dans son émission matinale à la radio, de magnifier les informations afin de garder le moral des troupes, et de ne pas leur faire voir la réalité, bien plus décevante. Quelle hérésie, pourtant, que de penser que ce qui est dit à la radio n’est pas la vérité! Rapidement, le texte de Sébastien Dodge brille par son humour absurde, ses clins d’œil subtils et ses vérités camouflées.

Puis quelques années plus tard, alors que le Capitaine Mike, en grand sauveur canadien, vient tuer les derniers nazis de Rome et libérer la nation italienne, tout le monde n’a que d’éloges pour lui. Même Benito, ce producteur de télé qui l’a remarqué… et qui a surtout remarqué qu’il pourrait faire bien de l’argent à exploiter ce héros canadien, ce G.I. Joe à la chevelure et aux habits parfaits, prêcheur d’un discours exemplaire: il n’y a que la liberté qui importe. Il le convainc donc de participer à une série télévisée tournée en Éthiopie – seul pays conquis par l’Italie –, qui a comme objectif de redonner confiance aux Italiens en leur présentant leur gloire passée. S’ensuivra un énorme succès qui mena Mike, ainsi que ses partenaires de jeu Gina/Colombine et Arlequin, dans tous les plus grands talk-shows du pays.

Déjà, on dénonce: ces illusions, trop nombreuses, qui meublent et régissent, même, nos vies. Ce bon soldat canadien qui vient sauver la pauvre population est tout ce qui importe, et on ne veut pas penser au fait qu’il est utilisé à des fins capitalistes pour promouvoir sa bonne action et la liberté, alors que des Éthiopiens et des Italiens – pour ne nommer que ceux-là – sont toujours dans la misère et meurent chaque jour, même si on ne parle pas d’eux. Les gens vivent-ils dans l’illusion ou plutôt dans le déni? Tout ça existe, mais ce n’est pas ça qu’on veut voir: lorsque Arlequin, qui essaie désespérément d’apporter du contenu engagé, essaie de mettre le projecteur sur la réalité, lors d’une entrevue télévisée, il se fait huer par le public qui ne veut pas l’écouter; ce dernier souhaite simplement savoir que ses acteurs favoris mangeront des hot-dogs cet été.

Parfois seulement grâce à une simple réplique d’une ligne, le texte de Televizione vise et tire: les talk-shows insipides où rien ne se dit de pertinent, où on parle de vêtements et de choses superficielles; les émissions régies par des quotas, des publicités et des commanditaires, ce qui les limite dans leur temps et leur contenu; les femmes actrices qui vieillissent, angoissent au sujet de leur physique et ont peur de se faire écarter par des plus jeunes; les acteurs non connus à qui on a de la difficulté à donner une chance; les acteurs célèbres qu’on voit partout et qui sont surexposés; les acteurs à qui on demande d’avoir une opinion sur tout et qu’on invite partout comme chroniqueur; les non-acteurs par rapport à ceux qui ont des formations très rigoureuses et de l’expérience; les artistes qui ont besoin d’être absolument partout pour se mettre en valeur, pour exister, et qui en viennent à être auteurs, acteurs, réalisateurs, chanteurs, chroniqueurs, monteurs… bonheur!

Presque tout ce qui est relatif aux médias et à la superficialité du milieu télévisuel est passé au crible, et la comparaison entre Televizione et Grande Écoute, de Larry Tremblay, dans laquelle a joué Dodge à ESPACE GO en 2015, est évidente, alors qu’on voit dans les deux pièces des personnalités invitées à des émissions de télévision et à qui on demande de faire et de dire un peu n’importe quoi pour faire de la bonne télé. Mais l’auteur va parfois trop loin: lorsque Mike fait caca dans le coin d’une pièce, que ce dernier montre le visage déformé plein de pus de Gina/Colombine aux paparazzis, ou encore qu’il s’excuse publiquement d’un incident dans un parc avec son pénis, on va tellement loin qu’on n’est plus dans l’absurde, mais bien dans le mauvais goût, et le public décroche. C’est aussi le cas lors de quelques longueurs, comme cette scène ou Gina/Colombine réalise qu’elle est défigurée par une ride et «finie», qui s’éternise et étire la sauce (il faut pourtant voir l’ingénieux procédé utilisé pour représenter les rides sur le visage de la comédienne).

Ces quelques longueurs et écarts trop gros sont tout de même pardonnés grâce au jeu tout à fait impeccable de Louis-Olivier Mauffette (Mike) et de Marie-Ève Trudel (Gina/Colombine), mais surtout de David-Alexandre Després (Arlequin) et de Mathieu Gosselin (Benito), qui à eux seuls jouent une multitude de personnages, de tous sexes et de multiples occupations, avec un aplomb, une aisance et une prestance impressionnantes. Bien sûr, le jeu est gros, caricatural, presque clownesque par moments, mais il est efficace pour saisir toute la critique et le second degré du texte de Dodge, et il fait plaisir de voir ces comédiens se démener pour rendre avec rythme et panache autant de registres – même quelques numéros chantés, très comiques! – et de subtilités.

Néanmoins, on retiendra surtout de Televizione un bon divertissement; mais ça n’est certainement pas cette œuvre qui nous aura conscientisé la première à ces tristes réalités. Et au final, en tant que confortables, on sort du Théâtre de Quat’Sous avec une certaine indifférence au propos, qui nous a bien fait rire, mais de façon inconstante et inégale. Peut-être, finalement, y a-t-il trop de contenu et de réflexions dans cette pièce, contrairement à ce qu’elle dénonce.

«Televizione» est une coproduction du Théâtre de la Pacotille et du Théâtre de Quat’Sous, écrite et mise en scène par Sébastien Dodge, et met en vedette David-Alexandre Després, Mathieu Gosselin, Louis-Olivier Mauffette et Marie-Ève Trudel. Elle est présentée au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 28 avril 2016.

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Par Marie-Andrée Lemire

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