«Voiture américaine» de Catherine Léger au Théâtre La Licorne – Bible urbaine

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«Voiture américaine» de Catherine Léger au Théâtre La Licorne

«Voiture américaine» de Catherine Léger au Théâtre La Licorne

Un regard futuriste sur des êtres primitifs

Publié le 2 octobre 2015 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Marie-Claude Hamel

Après Damnatio Memoriae présenté au Théâtre d’Aujourd’hui en 2014, la troupe du Théâtre de La Banquette arrière récidive avec un autre spectacle qui plonge le spectateur dans la spirale infernale de l’humanité, celle où l’homme consomme tellement qu’il court à sa propre perte, celle où l’instinct de survie prend le dessus sur l’entraide, la générosité et même les émotions. Dans une mise en scène de Philippe Lambert jusqu’au 17 octobre au Théâtre La Licorne, les personnages de Voiture américaine arrivent ou n’arrivent pas à leurs fins, mais ils ont faim, et surtout soif et, pour se rassasier, ils sont prêts à tout.

Dans un temps indéfini, difficile à cerner, mais qu’on pourrait croire près de l’apocalypse, les huit personnages imaginés par Catherine Léger nous renvoient une image dure de la réalité qui pourrait facilement nous arriver si l’Homme continue à consommer de façon aussi importante des objets de toutes sortes, créés à partir d’éléments naturels aussi limités. Un portrait d’une lucidité impressionnante, pour une pièce écrite il y a dix ans déjà!

Alors que les femmes ont travaillé fort et longtemps pour gagner le droit de ne plus avoir à faire des biscuits – et des enfants –, celles-ci errent à la recherche d’une occupation, d’un divertissement pour passer leurs longues journées de femmes libérées. Sans emploi parce qu’il n’y en a plus, sans enfants parce qu’ils n’en font plus, sans abondance parce qu’ils ne peuvent plus, les personnages sont tous dans un état d’attente, sans trop savoir ce qu’ils espèrent.

Bathak (Sébastien Dodge) règne sur son bar et sur les gens et commerces l’entourant en se faisant menaçant, mais il ne le sera pas assez pour empêcher que ce qu’il désire vraiment lui glisse entre les mains. Son employé, Jacot (Renaud Lacelle-Bourdon), surveille les précieuses bouteilles d’alcool de l’établissement sans en gaspiller une seule goutte, trop occupé à la servitude pour penser à quoi que ce soit d’autre. Julie (Anne-Marie Levasseur), sa femme, n’en peut plus de sa faiblesse et de ses abdications, elle qui n’obéit à personne et avance, fonceuse, vers on ne sait quoi, tant qu’il y a à boire au bout du chemin. Garance (Rose-Maïté Erkoreka), qui doit marier Bathak pour arrêter de se battre contre la vie, la faim et la soif, et finalement avoir un peu les moyens de survivre, se retrouve confrontée à son passé qui lui rappelle que le bonheur et l’extase existent et valent peut-être mieux que l’argent…

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Pendant ce temps, Suzanne (Amélie Bonenfant) reste chez elle depuis des années pour se préparer mentalement au jour où elle sortira enfin affronter ses peurs. Son mari, chauffeur de taxi (Mathieu Gosselin), n’en peut plus de la voir à la maison, seule, à n’avoir rien d’autre à faire que d’être ensemble, et va chercher une distraction dans un travail qui ne rapporte rien, car plus personne n’a d’argent pour payer le voyage. La vieille Grignon (Lise Martin), propriétaire des taxis et du magasin général où on ne vend de l’essence que pour les taxis, se protège en demeurant froide et austère, mais derrière sa carapace se cachent ses émotions. Richard (Simon Rousseau), lui, a hérité par son père d’une belle voiture américaine, qu’il ne peut conduire faute d’essence; il l’échangera donc contre la femme de Jacot, plein d’espoir de pouvoir bâtir un avenir avec elle, qui ne voit pourtant pas plus loin que le bout de son nez.

Dans cette société post-humanité où les chauffeurs de taxi tuent sur commande – parce qu’il n’y a rien de mieux à faire? Parce qu’il y a maintenant trop de gens pour les ressources et biens de consommation disponibles? Parce que rien n’est plus grave… –, on se rend compte qu’au final, l’humain n’est pas si loin de l’animal, et que malgré le progrès et l’évolution, son côté primitif n’est pas enfoui bien loin. Les priorités changent bien vite quand tout notre monde s’écroule.  

Côte à côte ou face à face, les huit personnages de Voiture américaine accusent les coups de leur propre surconsommation, de leur propre exagération, et se retrouvent avec un vide devant eux; un vide qu’ils ne pourront combler avec de l’alcool. Si le vide fait peur, c’est pourtant avec une grande dose d’humour que Catherine Léger et Philippe Lambert ont choisi de transmettre leurs messages: des dangers de la surconsommation, bien sûr, mais aussi concernant le féminisme, la soumission, l’importance du bonheur, la place des aînés dans notre société, etc.

Il est d’ailleurs judicieux d’avoir mené à ces réflexions par le rire, et le personnage de Julie, interprété par Anne-Marie Levasseur, est sans doute l’élément le plus comique de la pièce, ramenant n’importe quelle situation au rire avec sa personnalité très terre-à-terre. Si elle n’a pas d’intérêt à réapprendre à faire de belles choses comme construire une cabane à oiseaux, pour la fierté d’avoir créé, pour la satisfaction de permettre à d’autres êtres de mieux vivre, il y a tout de même d’autres personnages qui ont encore un peu d’espoir et de foi en l’humanité, et c’est ce qui nous rappelle qu’on ne peut uniquement rire de pareils enjeux; et en ce sens, la création de Catherine Léger réussit bien son pari.

La pièce Voiture américaine de Catherine Léger, mise en scène par Philippe Lambert, est une production du Théâtre de la Banquette arrière et elle est présentée au Théâtre La Licorne jusqu’au 17 octobre 2015.

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